jeudi 23 février 2006

Le songe de la grande statue de Nebucadnetsar

Source : Ancien Testament - Livre de Daniel (2.1 - 2.49)

La seconde année du règne de Nebucadnetsar, Nebucadnetsar eut des songes. Il avait l'esprit agité, et ne pouvait dormir.

Le roi fit appeler les magiciens, les astrologues, les enchanteurs et les Chaldéens, pour qu'ils lui disent ses songes. Ils vinrent, et se présentèrent devant le roi.

Le roi leur dit: J'ai eu un songe; mon esprit est agité, et je voudrais connaître ce songe.

Les Chaldéens répondirent au roi en langue araméenne: O roi, vis éternellement! dis le songe à tes serviteurs, et nous en donnerons l'explication.

Le roi reprit la parole et dit aux Chaldéens: La chose m'a échappé; si vous ne me faites connaître le songe et son explication, vous serez mis en pièces, et vos maisons seront réduites en un tas d'immondices.

Mais si vous me dites le songe et son explication, vous recevrez de moi des dons et des présents, et de grands honneurs. C'est pourquoi dites-moi le songe et son explication.

Ils répondirent pour la seconde fois: Que le roi dise le songe à ses serviteurs, et nous en donnerons l'explication.

Le roi reprit la parole et dit: Je m'aperçois, en vérité, que vous voulez gagner du temps, parce que vous voyez que la chose m'a échappé.

Si donc vous ne me faites pas connaître le songe, la même sentence vous enveloppera tous; vous voulez vous préparer à me dire des mensonges et des faussetés, en attendant que les temps soient changés. C'est pourquoi dites-moi le songe, et je saurai si vous êtes capables de m'en donner l'explication.

Les Chaldéens répondirent au roi: Il n'est personne sur la terre qui puisse dire ce que demande le roi; aussi jamais roi, quelque grand et puissant qu'il ait été, n'a exigé une pareille chose d'aucun magicien, astrologue ou Chaldéen.

Ce que le roi demande est difficile; il n'y a personne qui puisse le dire au roi, excepté les dieux, dont la demeure n'est pas parmi les hommes.

Là-dessus le roi se mit en colère, et s'irrita violemment. Il ordonna qu'on fasse périr tous les sages de Babylone.

La sentence fut publiée, les sages étaient mis à mort, et l'on cherchait Daniel et ses compagnons pour les faire périr.

Alors Daniel s'adressa d'une manière prudente et sensée à Arjoc, chef des gardes du roi, qui était sorti pour mettre à mort les sages de Babylone.

Il prit la parole et dit à Arjoc, commandant du roi: Pourquoi la sentence du roi est-elle si sévère? Arjoc exposa la chose à Daniel.

Et Daniel se rendit vers le roi, et le pria de lui accorder du temps pour donner au roi l'explication.

Ensuite Daniel alla dans sa maison, et il instruisit de cette affaire Hanania, Mischaël et Azaria, ses compagnons, les engageant à implorer la miséricorde du Dieu des cieux, afin qu'on ne fît pas périr Daniel et ses compagnons avec le reste des sages de Babylone.

Alors le secret fut révélé à Daniel dans une vision pendant la nuit. Et Daniel bénit le Dieu des cieux.

Daniel prit la parole et dit: Béni soit le nom de Dieu, d'éternité en éternité! A lui appartiennent la sagesse et la force.

C'est lui qui change les temps et les circonstances, qui renverse et qui établit les rois, qui donne la sagesse aux sages et la science à ceux qui ont de l'intelligence.

Il révèle ce qui est profond et caché, il connaît ce qui est dans les ténèbres, et la lumière demeure avec lui.

Dieu de mes pères, je te glorifie et je te loue de ce que tu m'as donné la sagesse et la force, et de ce que tu m'as fait connaître ce que nous t'avons demandé, de ce que tu nous as révélé le secret du roi.

Après cela, Daniel se rendit auprès d'Arjoc, à qui le roi avait ordonné de faire périr les sages de Babylone; il alla, et lui parla ainsi: Ne fais pas périr les sages de Babylone! Conduis-moi devant le roi, et je donnerai au roi l'explication.

Arjoc conduisit promptement Daniel devant le roi, et lui parla ainsi: J'ai trouvé parmi les captifs de Juda un homme qui donnera l'explication au roi.

Le roi prit la parole et dit à Daniel, qu'on nommait Beltschatsar: Es-tu capable de me faire connaître le songe que j'ai eu et son explication ?

Daniel répondit en présence du roi et dit: Ce que le roi demande est un secret que les sages, les astrologues, les magiciens et les devins, ne sont pas capables de découvrir au roi.

Mais il y a dans les cieux un Dieu qui révèle les secrets, et qui a fait connaître au roi Nebucadnetsar ce qui arrivera dans la suite des temps. Voici ton songe et les visions que tu as eues sur ta couche.

Sur ta couche, ô roi, il t'est monté des pensées touchant ce qui sera après ce temps-ci; et celui qui révèle les secrets t'a fait connaître ce qui arrivera.

Si ce secret m'a été révélé, ce n'est point qu'il y ait en moi une sagesse supérieure à celle de tous les vivants; mais c'est afin que l'explication soit donnée au roi, et que tu connaisses les pensées de ton cœur.

O roi, tu regardais, et tu voyais une grande statue; cette statue était immense, et d'une splendeur extraordinaire; elle était debout devant toi, et son aspect était terrible.

La tête de cette statue était d'or pur; sa poitrine et ses bras étaient d'argent; son ventre et ses cuisses étaient d'airain ; ses jambes, de fer; ses pieds, en partie de fer et en partie d'argile.

Tu regardais, lorsqu'une pierre se détacha sans le secours d'aucune main, frappa les pieds de fer et d'argile de la statue, et les mit en pièces.

Alors le fer, l'argile, l'airain, l'argent et l'or, furent brisés ensemble, et devinrent comme la balle qui s'échappe d'une aire en été; le vent les emporta, et nulle trace n'en fut retrouvée. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne, et remplit toute la terre.

Voilà le songe. Nous en donnerons l'explication devant le roi.

O roi, tu es le roi des rois, car le Dieu des cieux t'a donné l'empire, la puissance, la force et la gloire ; il a remis entre tes mains, en quelque lieu qu'ils habitent, les enfants des hommes, les bêtes des champs et les oiseaux du ciel, et il t'a fait dominer sur eux tous: c'est toi qui es la tête d'or.

Après toi, il s'élèvera un autre royaume, moindre que le tien; puis un troisième royaume, qui sera d'airain, et qui dominera sur toute la terre.

Il y aura un quatrième royaume, fort comme du fer; de même que le fer brise et rompt tout, il brisera et rompra tout, comme le fer qui met tout en pièces.

Et comme tu as vu les pieds et les orteils en partie d'argile de potier et en partie de fer, ce royaume sera divisé; mais il y aura en lui quelque chose de la force du fer, parce que tu as vu le fer mêlé avec l'argile.

Et comme les doigts des pieds étaient en partie de fer et en partie d'argile, ce royaume sera en partie fort et en partie fragile.

Tu as vu le fer mêlé avec l'argile, parce qu'ils se mêleront par des alliances humaines; mais ils ne seront point unis l'un à l'autre, de même que le fer ne s'allie point avec l'argile.

Dans le temps de ces rois, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit, et qui ne passera point sous la domination d'un autre peuple; il brisera et anéantira tous ces royaumes-là, et lui-même subsistera éternellement.

C'est ce qu'indique la pierre que tu as vue se détacher de la montagne sans le secours d'aucune main, et qui a brisé le fer, l'airain, l'argile, l'argent et l'or. Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver après cela. Le songe est véritable, et son explication est certaine.

Alors le roi Nebucadnetsar tomba sur sa face et se prosterna devant Daniel, et il ordonna qu'on lui offrît des sacrifices et des parfums.

Le roi adressa la parole à Daniel et dit: En vérité, votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des rois, et il révèle les secrets, puisque tu as pu découvrir ce secret.

Ensuite le roi éleva Daniel, et lui fit de nombreux et riches présents; il lui donna le commandement de toute la province de Babylone, et l'établit chef suprême de tous les sages de Babylone.

Daniel pria le roi de remettre l'intendance de la province de Babylone à Schadrac, Méschac et Abed-Nego. Et Daniel était à la cour du roi.

De la sagesse de Daniel et du végétarisme

Source : Ancien Testament - Livre de Daniel (1.1 - 1.21)

La troisième année du règne de Jojakim, roi de Juda, Nebucadnetsar, roi de Babylone, marcha contre Jérusalem, et l'assiégea.

Le Seigneur livra entre ses mains Jojakim, roi de Juda, et une partie des ustensiles de la maison de Dieu. Nebucadnetsar emporta les ustensiles au pays de Schinear, dans la maison de son dieu, il les mit dans la maison du trésor de son dieu.

Le roi donna l'ordre à Aschpenaz, chef de ses eunuques, d'amener quelques-uns des enfants d'Israël de race royale ou de famille noble, de jeunes garçons sans défaut corporel, beaux de figure, doués de sagesse, d'intelligence et d'instruction, capables de servir dans le palais du roi, et à qui l'on enseignerait les lettres et la langue des Chaldéens.

Le roi leur assigna pour chaque jour une portion des mets de sa table et du vin dont il buvait, voulant les élever pendant trois années, au bout desquelles ils seraient au service du roi.

Il y avait parmi eux, d'entre les enfants de Juda, Daniel, Hanania, Mischaël et Azaria.

Le chef des eunuques leur donna des noms, à Daniel celui de Beltschatsar, à Hanania celui de Schadrac, à Mischaël celui de Méschac, et à Azaria celui d'Abed-Nego.

Daniel résolut de ne pas se souiller par les mets du roi et par le vin dont le roi buvait, et il pria le chef des eunuques de ne pas l'obliger à se souiller.

Dieu fit trouver à Daniel faveur et grâce devant le chef des eunuques.

Le chef des eunuques dit à Daniel: Je crains mon seigneur le roi, qui a fixé ce que vous devez manger et boire; car pourquoi verrait-il votre visage plus abattu que celui des jeunes gens de votre âge? Vous exposeriez ma tête auprès du roi.

Alors Daniel dit à l'intendant à qui le chef des eunuques avait remis la surveillance de Daniel, de Hanania, de Mischaël et d'Azaria :

Eprouve tes serviteurs pendant dix jours, et qu'on nous donne des légumes à manger et de l'eau à boire ;

tu regarderas ensuite notre visage et celui des jeunes gens qui mangent les mets du roi, et tu agiras avec tes serviteurs d'après ce que tu auras vu.

Il leur accorda ce qu'ils demandaient, et les éprouva pendant dix jours.

Au bout de dix jours, ils avaient meilleur visage et plus d'embonpoint que tous les jeunes gens qui mangeaient les mets du roi.

L'intendant emportait les mets et le vin qui leur étaient destinés, et il leur donnait des légumes.

Dieu accorda à ces quatre jeunes gens de la science, de l'intelligence dans toutes les lettres, et de la sagesse; et Daniel expliquait toutes les visions et tous les songes.

Au terme fixé par le roi pour qu'on les lui amenât, le chef des eunuques les présenta à Nebucadnetsar.

Le roi s'entretint avec eux; et, parmi tous ces jeunes gens, il ne s'en trouva aucun comme Daniel, Hanania, Mischaël et Azaria. Ils furent donc admis au service du roi.

Sur tous les objets qui réclamaient de la sagesse et de l'intelligence, et sur lesquels le roi les interrogeait, il les trouvait dix fois supérieurs à tous les magiciens et astrologues qui étaient dans tout son royaume.

Ainsi fut Daniel jusqu'à la première année du roi Cyrus.

mercredi 15 février 2006

Le Petit Chaperon rouge - Charles Perrault

Le Petit Chaperon rouge



Il était une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouge.

Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Le Petit Chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra compère le Loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques Bûcherons qui étaient dans la Forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un Loup, lui dit : Je vais voir ma Mère-grand, et lui porter une galette, avec un petit pot de beurre, que ma Mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le Loup.

Oh ! oui, dit le Petit Chaperon rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du Village. Eh bien, dit le Loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin-ci, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera. Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait.

Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand ; il heurte : Toc, toc. Qui est là ? C’est votre fille le Petit Chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. La bonne Mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le Loup tira la chevillette et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte, et s’alla coucher dans le lit de la Mère-grand, en attendant le Petit Chaperon rouge, qui quelque temps après vint heurter à la porte. Toc, toc.

Qui est là ? Le Petit Chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup eut peur d’abord, mais croyant que sa Mère-grand était enrhumée, répondit : C’est votre fille le Petit Chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. Le Loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le Petit Chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s’ouvrit.

Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. Le Petit Chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit : Ma mère-grand, que vous avez de grands bras ? C’est pour mieux t’embrasser, ma fille.

Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ? C’est pour mieux courir, mon enfant. Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ? C’est pour mieux écouter, mon enfant. Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ? C’est pour mieux voir, mon enfant. Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents. C’est pour te manger. Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge, et la mangea.

MORALITÉ

On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux.

Source : Wikisource.

Les Fées - Charles Perrault

Il était une fois une veuve qui avait deux filles ; l'aînée lui ressemblait si fort et d'humeur et de visage, que qui la voyait voyait la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses qu'on ne pouvait vivre avec elles. La cadette, qui était le vrai portrait de son Père pour la douceur et pour l'honnêteté, était avec cela une des plus belles filles qu'on eût su voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée, et en même temps avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.

Il fallait entre autres choses que cette pauvre enfant allât deux fois le jour puiser de l'eau à une grande demi lieue du logis, et qu'elle en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu'elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire. - Oui-dà, ma bonne mère, dit cette belle fille ; et rinçant aussitôt sa cruche, elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine, et la lui présenta, soutenant toujours la cruche afin qu'elle bût plus aisément. La bonne femme, ayant bu, lui dit :

- Vous êtes si belle, si bonne, et si honnête, que je ne puis m'empêcher de vous faire un don (car c'était une Fée qui avait pris la forme d'une pauvre femme de village, pour voir jusqu'où irait l'honnêteté de cette jeune fille). Je vous donne pour don, poursuivit la Fée, qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou une Pierre précieuse.

Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine.

- Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d'avoir tardé si longtemps ; et en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux Roses, deux Perles, et deux gros Diamants. - Que vois-je ? dit sa mère tout étonnée ; je crois qu'il lui sort de la bouche des Perles et des Diamants ; d'où vient cela, ma fille ? (Ce fut là la première fois qu'elle l'appela sa fille.) La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de Diamants. - Vraiment, dit la mère, il faut que j'y envoie ma fille ; tenez, Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de votre soeur quand elle parle ; ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le même don ? Vous n'avez qu'à aller puiser de l'eau à la fontaine, et quand une pauvre femme vous demandera à boire, lui en donner bien honnêtement. Il me ferait beau voir, répondit la brutale, aller à la fontaine. Je veux que vous y alliez, reprit la mère, et tout à l'heure.

Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau Flacon d'argent qui fût dans le logis. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la fontaine qu'elle vit sortir du bois une Dame magnifiquement vêtue qui vint lui demander à boire :

c'était la même Fée qui avait apparu à sa soeur mais qui avait pris l'air et les habits d'une Princesse, pour voir jusqu'où irait la malhonnêteté de cette fille.

- Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire, justement j'ai apporté un Flacon d'argent tout exprès pour donner à boire à Madame ! J'en suis d'avis, buvez à même si vous voulez. - Vous n'êtes guère honnête, reprit la Fée, sans se mettre en colère ; hé bien ! puisque vous êtes si peu obligeante, je vous donne pour don qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapaud.

D'abord que sa mère l'aperçut, elle lui cria : - Hé bien, ma fille ! - Hé bien, ma mère ! lui répondit la brutale, en jetant deux vipères, et deux crapauds. - ô Ciel ! s'écria la mère, que vois-je là ? C'est sa soeur qui en est cause, elle me le payera ; et aussitôt elle courut pour la battre. La pauvre enfant s'enfuit, et alla se sauver dans la Forêt prochaine.

Le fils du Roi qui revenait de la chasse la rencontra et la voyant si belle, lui demanda ce qu'elle faisait là toute seule et ce qu'elle avait à pleurer. Hélas ! Monsieur c'est ma mère qui m'a chassée du logis. Le fils du Roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six Perles, et autant de Diamants, la pria de lui dire d'où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du Roi en devint amoureux, et considérant qu'un tel don valait mieux que tout ce qu'on pouvait donner en mariage à un autre, l'emmena au Palais du Roi son père où il l'épousa. Pour sa soeur elle se fit tant haïr que sa propre mère la chassa de chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir alla mourir au coin d'un bois.

Moralité

Les Diamants et les Pistoles
Peuvent beaucoup sur les Esprits ;
Cependant les douces paroles
Ont encore plus de force, et sont d'un plus grand prix.

Autre Moralité

L'honnêteté coûte des soins,
Elle veut un peu de complaisance,
Mais tôt ou tard elle a sa récompense,
Et souvent dans le temps qu'on y pense le moins.

Source : Wikisource.

lundi 13 février 2006

Chacun et chaque chose à sa place

Source : Wikisource

Chacun et chaque chose à sa place




C'était il y a plus de cent ans.

Il y avait derrière la forêt, près du grand lac, un vieux manoir entouré d'un fossé profond où croissaient des joncs et des roseaux. Tout près du pont qui conduisait à la porte cochère, il y avait un vieux saule qui penchait ses branches au-dessus du fossé.

Dans le ravin retentirent soudain le son du cor et le galop des chevaux.

La petite gardeuse d'oies se dépêcha de ranger ses oies et de laisser le pont libre à la chasse qui arrivait à toute bride. Ils allaient si vite, que la fillette dut rapidement sauter sur une des bornes du pont pour ne pas être renversée. C'était encore une enfant délicate et mince, mais avec une douce expression de visage et deux yeux clairs ravissants. Le seigneur ne vit pas cela ; dans sa course rapide, il faisait tournoyer la cravache qu'il tenait à la main. Il se donna le brutal plaisir de lui en donner en pleine poitrine un coup qui la renversa.

- Chacun à sa place ! cria-t-il.

Puis il rit de son action comme d'une chose fort amusante, et les autres rirent également. Toute la société menait un grand vacarme, les chiens aboyaient et on entendait des bribes d'une vieille chanson :

De beaux oiseaux viennent avec le vent !

La pauvre gardeuse d'oies versa des larmes en tombant ; elle saisit de la main une des branches pendantes du saule et se tint ainsi suspendue au- dessus du fossé.

Quand la chasse fut passée, elle travailla à sortir de là, mais la branche se rompit et la gardeuse d'oies allait tomber à la renverse dans les roseaux, quand une main robuste la saisit.

C'était un cordonnier ambulant qui l'avait aperçue de loin et s'était empressé de venir à son secours.

- Chacun à sa place ! dit-il ironiquement, après le seigneur, en la déposant sur le chemin.

Il remit alors la branche cassée à sa place. «A sa place », c'est trop dire. Plus exactement il la planta dans la terre meuble.

- Pousse si tu peux, lui dit-il, et fournis-leur une bonne flûte aux gens de là haut ! Puis il entra dans le château, mais non dans la grande salle, car il était trop peu de chose pour cela. Il se mêla aux gens de service qui regardèrent ses marchandises et en achetèrent.

A l'étage au-dessus, à la table d'honneur, on entendait un vacarme qui devait être du chant, mais les convives ne pouvaient faire mieux. C'étaient des cris et des aboiements ; on faisait ripaille. Le vin et la bière coulaient dans les verres et dans les pots ; les chiens de chasse étaient aussi dans la salle. Un jeune homme les embrassa l'un après l'autre, après avoir essuyé la bave de leurs lèvres avec leurs longues oreilles.

On fit monter le cordonnier avec ses marchandises, mais seulement pour s'amuser un peu de lui. Le vin avait tourné les têtes. On offrit au malheureux de boire du vin dans un bas.

- Presse-toi! lui cria-t-on.

C'était si drôle qu'on éclata de rire ! Puis ce fut le tour des cartes ; troupeaux entiers, fermes, terres étaient mis en jeu.

- Chacun à sa place ! s'écria le cordonnier, quand il fut sorti de cette Sodome et de cette Gomorrhe, selon ses propres termes. Le grand chemin, voilà ma vraie place. Là-haut je n'étais pas dans mon assiette.

Et la petite gardeuse d'oies lui faisait du sentier un signe d'approbation.

Des jours passèrent et des semaines. La branche cassée que le cordonnier avait planté ça sur le bord du fossé était fraîche et verte, et à son tour produisait de nouvelles pousses. La petite gardeuse d'oies s'aperçut qu'elle avait pris racine ; elle s'en réjouit extrêmement, car c'était son arbre, lui semblait-il.

Mais si la branche poussait bien, au château, en revanche, tout allait de mal en pis, à cause du jeu et des festins : ce sont là deux mauvais bateaux sur lesquels il ne vaut rien de s'embarquer.

Dix ans ne s'étaient point écoulés que le seigneur dut quitter le château pour aller mendier avec un bâton et une besace. La propriété fut achetée par un riche cordonnier, celui justement que l'on avait raillé et bafoué et à qui on avait offert du vin dans un bas. La probité et l'activité sont de bons auxiliaires ; du cordonnier, ils firent le maître du château. Mais à partir de ce moment, on n'y joua plus aux cartes.

- C'est une mauvaise invention, disait le maître. Elle date du jour où le diable vit la Bible. Il voulut faire quelque chose de semblable et inventa le jeu de cartes.

Le nouveau maître se maria ; et avec qui ? Avec la petite gardeuse d'oies qui était toujours demeurée gentille, humble et bonne. Dans ses nouveaux habits, elle paraissait aussi élégante que si elle était née de haute condition. Comment tout cela arriva-t-il ? Ah ! c'est un peu trop long à raconter ; mais cela eut lieu et, encore, le plus important nous reste à dire.

On menait une vie très agréable au vieux manoir. La mère s'occupait elle- même du ménage ; le père prenait sur lui toutes les affaires du dehors. C'était une vraie bénédiction; car, là où il y a déjà du bien-être, tout changement ne fait qu'en apporter un peu plus. Le vieux château fut nettoyé et repeint; on cura les fossés, on planta des arbres fruitiers. Tout prit une mine attrayante. Le plancher lui-même était brillant comme du cuivre poli. Pendant les longs soirs d'hiver, la maîtresse de la maison restait assise dans la grande salle avec toutes ses servantes, et elle filait de la laine et du lin. Chaque dimanche soir, on lisait tout haut un passage de la Bible. C'était le conseiller de justice qui lisait, et le conseiller n'était autre que le cordonnier colporteur, élu à cette dignité sur ses vieux jours. Les enfants grandissaient, car il leur était né des enfants; s'ils n'avaient pas tous des dispositions remarquables, comme cela arrive dans chaque famille, du moins tous avaient reçu une excellente éducation.

Le saule, lui, était devenu un arbre magnifique qui grandissait libre et non taillé.

- C'est notre arbre généalogique ! disaient les vieux maîtres; il faut l'honorer et le vénérer, enfants.

Et même les moins bien doués comprenaient un tel conseil.

Cent années passèrent.

C'était de nos jours. Le lac était devenu un marécage; le vieux château était en ruines. On ne voyait là qu'un petit abreuvoir ovale et un coin des fondations à côté; c'était ce qui restait des profonds fossés de jadis. Il y avait là aussi un vieil et bel arbre qui laissait tomber ses branches. C'était l'arbre généalogique. On sait combien un saule est superbe quand on le laisse croître à sa guise. Il était bien rongé au milieu du tronc, de la racine jusqu'au faîte ; les orages l'avaient bien un peu abîmé, mais il tenait toujours, et dans les fentes où le vent avait apporté de la terre, poussaient du gazon et des fleurs. Tout en haut du tronc, là où les grandes branches prenaient naissance, il y avait tout un petit jardin avec des framboisiers et des aubépines. Un petit arbousier même avait poussé, mince et élancé, sur le vieil arbre qui se reflétait dans l'eau noire de l'abreuvoir. Un petit sentier abandonné traversait la cour tout près de là. Le nouveau manoir était sur le haut de la colline, près de la forêt. On avait de là une vue superbe.

La demeure était grande et magnifique, avec des vitres si claires qu'on pouvait croire qu'il n'y en avait pas.

Rien n'était en discordance. «Tout à sa place ! » était toujours le mot d'ordre. C'est pourquoi tous les tableaux qui, jadis, avaient eu la place d'honneur dans le vieux manoir étaient suspendus maintenant dans un corridor. N'étaient-ce pas des «croûtes», à commencer par deux vieux portraits représentant, l'un, un homme en habit rouge, coiffé d'une perruque, l'autre, une dame poudrée, les cheveux relevés, une rose à la main ? Une grande couronne de feuilles de saule les entourait. Il y avait de grands trous ronds dans la toile; ils avaient été faits par les jeunes barons qui, tirant à la carabine, prenaient pour cible les deux pauvres vieux, le conseiller de justice et sa femme, les deux ancêtres de la maison. Le fils du pasteur était précepteur au château. Il mena un jour les petits barons et leur sœur aînée, qui venait d'être confirmée, par le petit sentier qui conduisait au vieux saule.

Quand on fut au pied de l'arbre, le plus jeune des barons voulut se tailler une flûte comme il l'avait déjà fait avec d'autres saules, et le précepteur arracha une branche.

- Oh! ne faites pas cela! s'écria, mais trop tard, la petite fille. C'est notre illustre vieux saule! Je l'aime tant! On se moque de moi pour cela, à la maison, mais cela m'est égal. Il y a une légende sur le vieil arbre ...

Elle conta alors tout ce que nous venons de dire au sujet de l'arbre, du vieux château, de la gardeuse d'oies et du colporteur dont la famille illustre et la jeune baronne elle-même descendaient.

Ces braves gens ne voulaient pas se laisser anoblir, dit- elle. «Chacun et chaque chose à sa place» était leur devise. L'argent ne leur semblait pas un titre suffisant pour qu'on les élevât au-dessus de leur rang. Ce fut leur fils, mon grand-père, qui devint baron. Il avait de grandes connaissances et était très considéré et très aimé du prince et de la princesse qui l'invitaient à toutes leurs fêtes. C'était lui que la famille révérait le plus, mais je ne sais pourquoi, il y a en moi quelque chose qui m'attire surtout vers les deux ancêtres. Ils devaient être si affables, dans leur vieux château où la maîtresse de la maison filait assise au milieu de ses servantes et où le maître lisait la Bible tout haut.

Le précepteur prit la parole:

- Il est à la mode dit-il, chez nombre de poètes, de dénigrer les nobles, en disant que c'est chez les pauvres, et, de plus en plus, à mesure qu'on descend dans la société, que brille la vraie noblesse. Ce n'est pas mon avis; c'est chez les plus nobles qu'on trouve les plus nobles traits. Ma mère m'en a conté un, et je pourrais en ajouter plusieurs. Elle faisait visite dans une des premières maisons de la ville où ma grand-mère avait, je crois, été gouvernante de la maîtresse de la maison. Elle causait dans le salon avec le vieux maître, un homme de la plus haute noblesse. Il aperçut dans la cour une vieille femme qui venait, appuyée sur des béquilles. Chaque semaine, on lui donnait quelques shillings.

- La pauvre vieille! Elle a bien du mal à marcher! dit-il.

« Et, avant que ma mère s'en fût rendu compte, il était en bas, à la porte; ainsi lui, le vieux seigneur octogénaire, sortait pour épargner quelques pas à la vieille et lui remettre ses shillings. Ce n'est qu'un simple trait; mais, comme l'aumône de la veuve, il va droit au cœur et le fait vibrer. C'est ce but que devraient poursuivre les poètes de notre temps; pourquoi ne chantent-ils pas ce qui est bon et doux, ce qui réconcilie ?»

Mais il est vrai qu'il y a un autre genre de nobles.

- Cela sent la roture, ici ! disent-ils aux bourgeois.

«Ces nobles-là, oui, ce sont de faux nobles, et l'on ne peut qu'applaudir à ceux qui les raillent dans leurs satires. »

Ainsi parla le précepteur. C'était un peu long, mais aussi, l'enfant avait eu le temps de tailler sa flûte.

Il y avait grande réunion au château: hôtes venus de la capitale ou des environs, dames vêtues avec goût ou sans goût. La grande salle était pleine d'invités. Le fils du pasteur se tenait modestement dans un coin.

On allait donner un grand concert. Le petit baron avait apporté sa flûte de saule, mais il ne savait pas souffler dedans, ni son père non plus.

Il y eut de la musique et du chant. S'y intéressèrent surtout ceux qui exécutèrent. C'était bien assez, du reste.

- Mais vous êtes aussi un virtuose! dit au précepteur un des invités. Vous jouez de la flûte. Vous nous jouerez bien quelque chose ?

En même temps, il tendit au précepteur la petite flûte taillée près de l'abreuvoir. Puis il annonça très haut et très distinctement que le précepteur du château allait exécuter un morceau sur la flûte.

Le précepteur, comprenant qu'on allait se moquer de lui, ne voulait pas jouer, bien qu'il sût. Mais on le pressa, on le força, et il finit par prendre la flûte et la porter à sa bouche.

Le merveilleux instrument ! Il émit un son strident comme celui d'une locomotive; on l'entendit dans tout le château, et par-delà la forêt. En même temps s'élevait une tempête de vent qui sifflait :

- Chacun à sa place!

Le maître de la maison, comme enlevé par le vent, fut transporté à l'étable. Le bouvier fut emmené, non dans la grande salle, mais à l'office, au milieu des laquais en livrée d'argent. Ces messieurs furent scandalisés de voir cet intrus s'asseoir à leur table !

Dans la grande salle, la petite baronne s'envola à la place d'honneur, où elle était digne de s'asseoir. Le fils du pasteur prit place près d'elle ; tous deux semblaient être deux mariés. Un vieux comte, de la plus ancienne noblesse du pays, fut maintenu à sa place, car la flûte était juste, comme on doit l'être.

L'aimable cavalier à qui l'on devait ce jeu de flûte, celui qui était fils de son père, alla droit au poulailler.

La terrible flûte! Mais, fort heureusement, elle se brisa, et c'en fut fini du: «Chacun à sa place! »

Le jour suivant, on ne parlait plus de tout ce dérangement. Il ne resta qu'une expression proverbiale: «ramasser la flûte » .

Tout était rentré dans l'ancien ordre. Seuls, les deux portraits de la gardeuse d'oies et du colporteur pendaient maintenant dans la grande salle, où le vent les avait emportés. Un connaisseur ayant dit qu'ils étaient peints de main de maître, on les restaura.

«Chacun et chaque chose à sa place !» On y vient toujours. L'éternité est longue, plus longue que cette histoire.