Synopsis
Les rives du plus grand lac tropical du monde, considéré comme le berceau de l’humanité, sont aujourd’hui le théâtre du pire cauchemar de la mondialisation.
En Tanzanie, dans les années 60, la Perche du Nil, un prédateur vorace, fût introduite dans le lac Victoria à titre d’expérience scientifique. Depuis, pratiquement toutes les populations de poissons indigènes ont été décimées. De cette catastrophe écologique est née une industrie fructueuse, puisque la chair blanche de l’énorme poisson est exportée avec succès dans tout l’hémisphère nord.
Pêcheurs, politiciens, pilotes russes, prostituées, industriels et commissaires européens y sont les acteurs d’un drame qui dépasse les frontières du pays africain.
Dans le ciel, en effet, d’immenses avions-cargos de l’ex union soviétique forment un ballet incessant au dessus du lac, ouvrant ainsi la porte à un tout autre commerce vers le sud: celui des armes.
Propos du réalisateur
Origines du cauchemar
L’idée de ce film est née lors de mes recherches sur un autre documentaire, Kisangani Diary – Loin du Rwanda, dont le sujet était de suivre les réfugiés fuyant la rébellion Congolaise. C’est en 1997 que j’ai été témoin pour la première fois du traffic improbable de ces énormes avions cargos pleins de nourriture. Tandis qu’un premier avion-cargo atterrissait avec 45 tonnes de poids chiches d’Amérique pour alimenter les réfugiés dans les camps voisins de l’ONU, un second décollait pour l’Union Européenne avec 50 tonnes de poissons frais à son bord.
Ma rencontre et les liens d’amitié que j’ai pu tisser avec l’équipage de l’un des avions-cargos russes m’ont permis de découvrir l’impensable. Les avions de ravitaillement n’amenaient pas que de l’aide humanitaire des pays développés mais également des armes. Ainsi, ces avions amenaient aux réfugiés les pois chiches qui les nourrissaient la journée et les armes qui les tuaient la nuit. Au matin, ce que ma caméra tremblante filmait dans cette jungle puante était les cadavres et les camps détruits.
Connaître la chronologie et les visages d’une réalité si cynique est alors devenu l’objectif du Cauchemar de Darwin, mon plus long engagement cinématographique.
Le centre du monde
« La région des Grands lacs» est le centre vert, fertile et minéral de l’Afrique, et est considéré comme le berceau de l’humanité. Cette région est réputée pour sa vie sauvage unique, ses volcans neigeux et ses parcs nationaux. Parallèlement c’est aussi le « Cœur des ténèbres ». Les guerres civiles qui font rage dans ce secteur ont lieu dans une sorte d’oubli moral. Elles sont, de loin, les conflits les plus mortels depuis la deuxième guerre mondiale. Au Congo, chaque jour de l’année, le nombre de morts liés à la guerre équivaut au nombre de victimes du 11 septembre à NY. Sans être totalement ignorées, les innombrables guerres sont souvent qualifiées de « conflits tribaux », comme ceux du Rwanda et du Burundi. Les causes cachées de tels troubles sont, dans la plupart des cas, des intérêts impérialistes pour les ressources naturelles.
Au Coeur des ténèbres
Pour filmer le Cauchemar de Darwin nous étions en équipe réduite : Sandor, mon habituel compagnon de voyage, ma petite caméra et moi. Je devais approcher les « personnages » et suivre leurs vies durant de longues périodes. Il était alors facile de trouver des images saisissantes parce que la réalité que je filmais était saisissante. Mais il est également facile d’avoir des ennuis. En Tanzanie nous devions cacher notre activité devant les autorités. Afin de monter dans des avions de cargaison nous avons dû nous faire passer pour des pilotes et des dockers et avoir de fausses pièces d’identité. Dans les villages, on nous a pris pour des missionnaires humanitaires. Les directeurs des usines ont craint que l’on soit des inspecteurs de l’hygiène de l’UE. Nous avons dû nous faire passer pour des hommes d’affaires australiens dans les bars d’hôtel branchés ou pour des randonneurs inoffensifs dans la savane africaine, « prenant juste des photos. » Nous avons perdu un nombre incalculable de jours à faire face à des policiers corrompus, confus et interrogateurs, dans des postes de contrôle et dans les prisons locales. Une bonne partie du budget du film a été gaspillée en dessous de table et amendes pour payer notre liberté. Pour nous c’était devenu une sorte de routine morose : ne pas travailler, et s’asseoir sous l’impitoyable soleil équatorial entouré par des millions de squelettes de perches du Nil, essayant de ne pas devenir fous.
La loi du plus fort?
L’éternelle question qui consiste à se demander quelle structure sociale et politique est la meilleure pour le monde semble avoir trouvé une réponse. Le capitalisme a gagné. Les sociétés futures seront régies par un « système consumériste » perçu comme « civilisé » et « bon ». Dans le sens Darwinien le « bon système » a gagné. Il a gagné en convainquant ses ennemis ou en les éliminant.
Dans le Cauchemar de Darwin j’ai essayé de transformer l’histoire du succès d’un poisson et le boom éphémère autour de ce « parfait » animal en une allégorie ironique et effrayante du nouvel ordre mondial. Mais la démonstration serait la même en Sierra Leone et les poissons seraient des diamants, au Honduras, ils seraient des bananes, et en Irak, au Nigeria ou en Angola… ils seraient du pétrole brut.
Le cinéma est pour moi le seul média capable de faire partager, avec un vrai impact, certaines réalités. La plupart d’entre nous connaissent les mécanismes destructeurs de notre temps sans en prendre vraiment conscience. Par exemple, partout où une importante ressource naturelle est découverte, les habitants meurent dans la misère, leurs fils devenant des soldats et leurs filles des servantes ou des prostituées.
Après des centaines d’années d’esclavage et de colonisation européenne de l’Afrique, les effets de la globalisation des marchés infligent des mortelles humiliations aux habitants de ce continent. L’attitude arrogante des pays riches envers le Tiers Monde crée de futurs dangers pour tous les peuples.
“On ne trouverait pas de perche du Nil dans nos supermarchés si il n’y avait pas de guerre en Afrique.”
Dans ce documentaire, j’ai essayé de filmer aussi intimement que possible. Sergey, Dimond, Raphael, Eliza… sont des vraies personnes qui représentent merveilleusement la complexité de ce système, et pour moi elles représentent la véritable énigme.
« Je pourrais faire la même démonstration en Sierra Leone, les poissons seraient des diamants, au Honduras ils seraient des bananes, et en Irak, au Nigeria ou en Angola… ils seraient du pétrole brut. »
Source : Le cauchemar de Darwin
Site officiel : Darwin's nighmare