Source : Sous la pression populaire, le président bolivien met fin à la présence de Suez en Bolivie du site Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM).

par Eric Toussaint

Le 13 janvier 2005, après 3 jours de mobilisation des habitants de El Alto, le président bolivien a émis un décret par lequel il met fin à la concession de 30 ans accordée à la transnationale Suez des Eaux. Il s’agit d’une nouvelle victoire du peuple bolivien dans sa lutte pour récupérer le contrôle public sur ses ressources naturelles. Déjà en avril 2000, les habitants de la région de Cochabamba avaient réussi à se débarrasser de la domination du consortium international dirigé par la transnationale états-unienne Bechtel sur la distribution d’eau dans la région. En octobre 2003, un soulèvement national durement réprimé (plus de 90 morts) avait entraîner la chute du président Lozada et la suspension du projet de vente du gaz naturel à un consortium transnational privé dirigé lui aussi par des grandes entreprises états-uniennes.

Quelles raisons entraînèrent le soulèvement populaire de janvier 2005 à El Alto ?

Le 24 juillet 1997, suite aux pressions exercées par la Banque mondiale (BM) et le FMI, les autorités boliviennes ont accordé à l’entreprise Aguas del Illimani - Suez une concession de 30 ans pour la distribution d’eau potable et l’assainissement des eaux usées de la municipalité de El Alto et de la capitale La Paz. Aguas del Illimani est contrôlée par l’entreprise Suez qui domine au niveau mondial le commerce de l’eau en compagnie de Vivendi (France) et de Thames (Grande-Bretagne). Cette concession a été attribuée de manière frauduleuse car on n’a pas respecté les règles normales d’un appel d’offres public. Celui-ci a été lancé sur la base d’une étude réalisée par la banque française Paribas. Une seule entreprise répondit à l’appel : Aguas del Illimani - Lyonnaise des eaux (Suez). Au lieu de procéder à un nouvel appel afin de recevoir plusieurs offres, le contrat a été signé à la va-vite. Cette concession à une entreprise transnationale est le résultat de la privatisation de l’entreprise municipale publique Samapa, qui a été imposée par la BM, le FMI et la Banque interaméricaine de développement (BID) lors de la renégociation de la dette bolivienne en 1996.

La BM est d’ailleurs directement partie prenante de la privatisation puisqu’elle détient 8% des actions de Aguas del Illimani par le biais de son instrument d’investissement privé, la Société Financière d’Investissements. De son côté, la Lyonnaise des eaux - Suez détient 55% des actions.

Suez privait 200.000 habitants de El Alto d’eau potable.

Alors que Aguas de Illimani affirmait que toute la population de El Alto avait accès à l’eau potable, la réalité était bien différente. 70.000 personnes vivaient dans des maisons non raccordées à la distribution d’eau car le prix du raccordement était exorbitant. En effet, il atteignait la somme astronomique de 445 dollars soit approximativement 8 mois de salaire minimum. Par ailleurs, 130.000 vivant sur le territoire de la concession accordée à Aguas del Illimani sont en dehors de l’aire desservie par la transnationale.

Insuffisance d’investissement dans l’entretien et l’amélioration des installations

Selon le contrat signé en 1997, Aguas del Illimani était tenue de garantir l’entretien et l’amélioration des conduites d’eau et des égouts. En réalité, les investissements réalisés étaient tout à fait insuffisants. Entre 1997 et 2004, Aguas del Illimani n’aurait investi que pour un montant de 55 millions de dollars provenant principalement de prêts de la Bm et de la BID ou de dons provenant de gouvernements au titre de l’aide publique au développement. C’est le cas des dons de la Suisse destinés à garantir l’accès des pauvres à l’eau potable. L’insuffisance d’investissements s’est traduite par des foyers de contaminations dans certains quartiers dus à la distribution d’eau non potable.

Augmentation des tarifs

Au début du contrat, en 1997, les tarifs ont augmenté de 19%. Le coût du raccordement a quant à lui augmenté de 33%. Alors que la loi bolivienne interdit la dollarisation des tarifs (loi 2066 du 11 avril 2000, art. 8), Aguas del Illimani a indexé les tarifs au dollar.

Voler les pauvres et les pouvoirs publics

Avec des tarifs exorbitants, Suez amortissait ses faibles investissements et s’octroyait un taux de profit de 13%. Non contente de cela, elle avait obtenu grâce à l’article 26 du contrat la garantie qu’en cas de non renouvellement de la concession en 2027, les autorités publiques devraient rembourser à l’entreprise tous les investissements réalisés. Par ailleurs, alors que Suez s’était engagée à verser à l’entreprise municipale Samapa 8 millions de dollars par an, celle-ci affirme qu’elle n’a reçu en réalité que 3,5 millions de dollars par an.

Banque mondiale : juge et partie

Pour toutes ces raisons, l’ensemble de la population de El Alto est sorti dans les rues trois jours durant exigeant le départ de Aguas del Illimani - Suez et le retour de la distribution d’eau au secteur public. Suez a annoncé suite au décret pris par le président de la Bolivie, qu’elle déposerait plainte auprès du CIRDI (Centre international des différends relatifs aux investissements), une des cinq branches du groupe Banque mondiale. Si jamais, le CIRDI acceptait de recevoir la plainte, son jugement serait frappé de nullité car la Banque mondiale serait à la fois juge et partie. En effet, comme indiqué précédemment, la Banque mondiale est actionnaire de Aguas del Illimani.