La question principale à laquelle tente de répondre la philosophie d’Epictète est de savoir comment il faut vivre sa vie. Face à cette première interrogation, tous les autres grands questionnements de la philosophie sont de peu d’importance à ses yeux. A cette fin Epictète se pose tout d’abord la question de l’existence, ou non, d’une ‘nature des choses’ qui est invariable, inviolable et valable pour tous les hommes sans exception. Sa réponse est claire: la ‘nature des choses’ existe et il la formule, au début de son Manuel, en disant que, de toutes les choses du monde, certaines sont en notre pouvoir exclusif tandis que d’autres ne le sont pas. Nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinaisons, nos aversions -en un mot, toutes nos actions- appartiennent à la première classe des choses et il les appelle ‘prohairetiques’. Le corps, les biens, la réputation, les dignités -en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions- appartiennent à la deuxième classe des choses et il les appelle ‘aprohairetiques’. Qu’est-ce donc la ‘prohairesis’? Epictète nous montre que la prohairesis est la faculté qui nous fait différents de tous les autres êtres vivants. Elle est la faculté qui nous permet de désirer ou d’avoir de l’aversion, de ressentir un besoin impulsif ou de la répulsion, de dire oui ou non, selon nos jugements. Les choses prohàiretiques sont libres par leur nature justement parce que la liberté de notre prohairesis est absolue: elle ne peut être restreinte ni par la douleur, ni par la mort, ni par quoi que ce soit qui lui est extérieur. Si notre prohairesis fait que nous nous accommodons d’un fait quelconque c’est qu’elle a ainsi décidé.

Ainsi, bien que nous ne soyons pas responsables des représentations qui naissent librement dans notre conscience, nous sommes absolument et sans aucune doute responsables de la manière dont nous faisons usage de celles-ci. D’après Epictète il est primordial de garder à l’esprit qu’en dehors de notre prohairesis il n’existe ni bien ni mal, et qu’il est vain de tenter de modifier la nature des choses. Quel est donc le critère qui nous permet de respecter dans n’importe quelle situation la nature des choses? Epictète nous explique que ce critère est un jugement qu’il faut apprendre par la philosophie et il appelle ce jugement ‘dihairesis’. Face à tout ce qui est aprohairetique (événements, objets, individus, etc.) quelle est alors l’attitude qu’il faut avoir? Il faut avoir l’attitude du bon joueur d’échecs, c’est à dire le courage de jouer et de vaincre.

Et si on perd la partie? Perdre aussi fait partie de la nature des choses. Si on perd la partie, la dihairesis qui nous guide nous empêche de faire quelconque réclamation pour ce qui advient et qui ne dépend pas de nous. En effet, il faut accepter ce que les événements et le destin nous apportent, tant que ceci n’est pas de notre ressort. L’Homme est partie intégrante d’un système qui le dépasse. Plutôt que de s’opposer vainement au sort qui lui est réservé, il l’accepte et dit merci pour l’occasion qu’il a eu de jouer, car il comprend le divin qui est en lui et fait raisonner sa vie au diapason de ses jugements guidés par la dihairesis. Ça signifie que, pourvu qu’on ait sauvegardé la liberté de notre prohairesis et respecté les règles du jeu, même si on a perdu le match d’un jour, le vrai match a toujours été gagné.

Pour le stoïcien rien ne sert de vénérer la nature, les dieux ou d’autres maîtres. Seuls des principes rationnels doivent permettre de comprendre – ou simplement accepter - le mouvement du monde et des hommes. C’est par une analyse rationnelle qu’il détermine ce qui ne dépend pas de lui, et c’est grâce à cette même raison qu’il définit ses jugements sur le monde.

Les modèles historiques auxquels Epictète fait penser sont Diogène et Socrate. D’après ses Discours on peut tracer le portrait de ce qui serait pour lui le stoïcien accompli. Ce sage serait libre et heureux même s’il n’avait ni pays, ni maison, ni terres, ni femme, ni enfant, ni esclaves, et même si son lit était le sol et son seul toit était le ciel. Il souffrirait sans se plaindre les moqueries et les coups jusqu’à aimer son bourreau comme un frère ou un père. Il est l’égal des héros et des dieux car il a vaincu ses démons intérieurs : la souffrance, la peur, le désir…

Citations

  • « IV. SOUVIENS-TOI donc que, si tu crois libres les choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui dépendent d'autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. Au lieu que si tu crois tien ce qui t'appartient en propre, et étranger ce qui est à autrui, jamais personne ne te forcera à faire ce que tu ne veux point, ni ne t'empêchera de faire ce que tu veux ; tu ne te plaindras de personne ; tu n'accuseras personne ; tu ne feras rien, pas même la plus petite chose, malgré toi ; personne ne te fera aucun mal, et tu n'auras point d'ennemi, car il ne t'arrivera rien de nuisible. » - Le manuel -
  • « XI. ACCUSER les autres de ses malheurs, cela est d'un ignorant ; n'en accuser que soi-même, cela est d'un homme qui commence à s'instruire ; et n'en accuser ni soi-même ni les autres, cela est d'un homme déjà instruit. » - Le manuel -
  • « XIX. SI tu veux avancer dans l'étude de la sagesse, ne refuse point, sur les choses extérieures, de passer pour imbécile et pour insensé. » - Le manuel -
  • « XLVIII. LES dieux ont créé tous les hommes afin qu'ils soient heureux ; ils ne sont malheureux que par leur faute. » - Les entretiens -

Œuvres

Bibliographie

  • Simplicius, Commentaire sur le Manuel d'Epictète, Leyde, Brill, 1996
  • J-B. Gourinat, Première leçons sur le Manuel d'Epictète, Paris, PUF, 1998
  • Th. Colardeau, Etude sur Epictète, Paris, 1903
  • J.J. Duhot, Epictète et la sagesse stoïcienne
  • J. Moreau, Epictète ou le Secret de la liberté, Paris, Seghers, 1964

Liens externes