vendredi 23 juin 2006

Les vers dorés des Pythagoriciens

Introduction

...« Les anciens avaient l’habitude de comparer à l’or tout ce qu’ils jugeaient sans défauts et beau par excellence: ainsi, par « l’Âge d’or » ils entendaient l’âge des vertus et du bonheur; et par les « Vers dorés », les vers où la doctrine la plus pure était renfermée. Ils attribuaient constamment ces Vers à Pythagore, non qu’ils crussent que ce philosophe les eût composés lui-même, mais parce qu’ils savaient que celui de ses disciples dont ils étaient l’ouvrage, y avait exposé l’exacte doctrine de son maître, et les avait tous fondés sur des maximes sorties de sa bouche. Ce disciple, recommandable par ses lumières, et surtout par son attachement aux préceptes de Pythagore, se nommait Lysis.

Après la mort de ce Philosophe, et lorsque ses ennemis, momentanément triomphants, eurent élevé à Crotone et à Mésapont cette terrible persécution qui coûta la vie à un si grand nombre de Pythagoriciens, écrasés sous les débris de leur école incendiée, ou contraints de mourir de faim dans le temple des Muses, Lysis, heureusement échappé à ces désastres, se retira en Grèce, où, voulant répandre la secte de Pythagore, dont on s’attachait à calomnier les principes, il crut nécessaire de dresser une sorte de formulaire qui contînt les bases de la morale, et les principales règles de conduite données par cet homme célèbre.

C’est à ce mouvement généreux que nous devons les Vers philosophiques que j’ai essayé de traduire en français. Ces Vers appelés dorés par la raison que j’ai dite, contiennent les sentiments de Pythagore, et sont tout ce qui nous reste de véritablement authentique touchant l’un des plus grands hommes de l’antiquité »

Antoine Fabre-d’Olivet (1767-1825)

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SI... de Rudyard Kipling

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir,
Si tu peux être amant sans être fou d’amour;
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et te sentant haï, sans haïr a ton tour
Pourtant lutter et te défendre.

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Sans mentir toi - même d’un mot;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les Rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en Frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi.

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans devenir jamais sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu peux être bon , si tu peux être sage
Sans être moral ni pédant;

Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front;
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront;
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis.
Et ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire
TU SERAS UN HOMME, MON FILS.

Source : Poème de Rudyard KIPLING "Si.."

jeudi 22 juin 2006

L’Offrande lyrique

L’Offrande lyrique



Gitanjali, traduction d’André Gide, 1913

Extrait

Tes yeux m'interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée; de même la lune voudrait connaître l'intérieur de l'océan.
J'ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler. C'est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux et t'en faire un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l'arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.
Mais ce n'est qu'un coeur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines ?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n'était qu'un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais déchiffrer en un moment.
Si elle n'était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la profondeur de son secret.
Ma vie n'est qu'amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.

..................

Là où l'esprit est sans crainte et où la tête est haut portée,
Là où la connaissance est libre,
Là où le monde n'a pas été morcelé entre d'étroites parois mitoyennes,
Là où les mots émanent des profondeurs de la sincérité,
Là où l'effort infatigué tend les bras vers la perfection;
Là où le clair courant de la raison ne s'est pas mortellement égaré dans l'aride et morne désert de la coutume,
Là où l'esprit guidé par toi s'avance dans l'élargissement continu de la pensée et de l'action -
Dans ce paradis de liberté,
Mon père, permets que ma patrie s'éveille.

.......................

Le même fleuve de vie
Qui court à travers mes veines nuit et jour
Court à travers le monde
Et danse en pulsations rythmées.
C'est cette même vie qui pousse à travers
La poudre de la terre sa joie
En innombrables brins d'herbe,
Et écllate en fougeuses vagues de feuilles et de fleurs ..
C'est cette même vie que balancent flux et reflux
Dans l'océan-berceau de la naissance et de la mort .
Je sens mes membres glorifiés au toucher de cette vie universelle.
Et je m'enorgueillis,
Car le grand battement de la vie des âges
C'est dans mon sang qu'il danse en ce moment .

.....................

Non, il n'est pas en ton pouvoir de faire éclore le bouton
Secoue-le, frappe-le : tu n'auras pas la puissance de l'ouvrir.
Tes mains l'abîment ; tu en déchires les pétales et les jettes dans la poussière.
Mais aucune couleur n'apparaît, et aucun parfum.
Ah ! il ne t'appartient pas de la faire fleurir.
Celui qui fait éclore la fleur travaille si simplement.
Il y jette un regard, et la sève de vie coule dans ses veines.
A son haleine, la fleur déploie ses ailes et se balance au gré du vent.
Comme un désir du coeur, sa couleur éclate, et son parfum trahit un doux secret.
Celui qui fait éclore la fleur travaille si simplement.
Rabindranath Tagore La corbeille de fruits

Source : Wikisource.