lundi 28 novembre 2005

Orphée et Eurydice

L'Hymen, vêtu d'une robe de pourpre, s'élève des champs de Crète, dans les airs, et vole vers la Thrace, où la voix d'Orphée l'appelle en vain à ses autels. L'Hymen est présent à son union avec Eurydice, mais il ne profère point les mots sacrés; il ne porte ni visage serein, ni présages heureux. La torche qu'il tient pétille, répand une fumée humide, et le dieu qui l'agite ne peut ranimer ses mourantes clartés. Un affreux événement suit de près cet augure sinistre. Tandis que la nouvelle épouse court sur l'herbe fleurie, un serpent la blesse au talon elle pâlit, tombe et meurt au milieu de ses compagnes.

Après avoir longtemps imploré par ses pleurs les divinités de l'Olympe, le chantre du Rhodope osa franchir les portes du Ténare, et passer les noirs torrents du Styx, pour fléchir les dieux du royaume des morts. Il marche à travers les ombres légères, fantômes errants dont les corps ont reçu les honneurs du tombeau. Il arrive au pied du trône de Proserpine et de Pluton, souverains de ce triste et ténébreux empire. Là, unissant sa voix plaintive aux accords de sa lyre, il fait entendre ces chants : "Divinités du monde souterrain où descendent successivement tous les mortels, souffrez que je laisse les vains détours d'une éloquence trompeuse. Ce n'est ni pour visiter le sombre Tartare, ni pour enchaîner le monstre à trois têtes, né du sang de Méduse, et gardien des Enfers, que je suis descendu dans votre empire. Je viens chercher mon épouse. La dent d'une vipère me l'a ravie au printemps de ses jours.

J'ai voulu supporter cette perte; j'ai voulu, je l'avoue, vaincre ma douleur. L'Amour a triomphé. La puissance de ce dieu est établie sur la terre et dans le ciel; je ne sais si elle l'est aux enfers : mais je crois qu'elle n'y est pas inconnue; et, si la renommée d'un enlèvement antique n'a rien de mensonger, c'est l'amour qui vous a soumis; c'est lui qui vous unit. Je vous en conjure donc par ces lieux pleins d'effroi, par ce chaos immense, par le vaste silence de ces régions de la Nuit, rendez-moi mon Eurydice; renouez le fil de ses jours trop tôt par la Parque coupé.

"Les mortels vous sont tous soumis. Après un court séjour sur la terre un peu plus tôt ou un peu plus tard, nous arrivons dans cet asile ténébreux; nous y tendons tous également; c'est ici notre dernière demeure. Vous tenez sous vos lois le vaste empire du genre humain. Lorsque Eurydice aura rempli la mesure ordinaire de la vie, elle rentrera sous votre puissance. Hélas ! C'est un simple délai que je demande; et si les Destins s'opposent à mes vœux, je renonce moi-même à retourner sur la terre. Prenez aussi ma vie, et réjouissez-vous d'avoir deux ombres à la fois."

Aux tristes accents de sa voix, accompagnés des sons plaintifs de sa lyre, les ombres et les mânes pleurent attendris. Tantale cesse de poursuivre l'onde qui le fuit. Ixion s'arrête sur sa roue. Les vautours ne rongent plus les entrailles de Tityos. L'urne échappe aux mains des filles de Bélus, et toi, Sisyphe, tu t'assieds sur ta roche fatale. On dit même que, vaincues par le charme des vers, les inflexibles Euménides s'étonnèrent de pleurer pour la première fois. Ni le dieu de l'empire des morts, ni son épouse, ne peuvent résister aux accords puissants du chantre de la Thrace. Ils appellent Eurydice. Elle était parmi les ombres récemment arrivées au ténébreux séjour. Elle s'avance d'un pas lent, retardé par sa blessure. Elle est rendue à son époux : mais, telle est la loi qu'il reçoit : si, avant d'avoir franchi les sombres détours de l'Averne, il détourne la tête pour regarder Eurydice, sa grâce est révoquée; Eurydice est perdue pour lui sans retour.

À travers le vaste silence du royaume des ombres, ils remontent par un sentier escarpé, tortueux, couvert de longues ténèbres. Ils approchaient des portes du Ténare. Orphée, impatient de crainte et d'amour, se détourne, regarde, et soudain Eurydice lui est encore ravie.

Le malheureux Orphée lui tend les bras, Il veut se jeter dans les siens : il n'embrasse qu'une vapeur légère. Eurydice meurt une seconde fois, mais sans se plaindre; et quelle plainte eût-elle pu former ? Était-ce pour Orphée un crime de l'avoir trop aimée ! Adieu, lui dit-elle d'une voix faible qui fut à peine entendue; et elle rentre dans les abîmes du trépas.

Privé d'une épouse qui lui est deux fois ravie, Orphée est immobile, étonné, tel que ce berger timide qui voyant le triple Cerbère, chargé de chaînes, traîné par le grand Alcide jusqu'aux portes du jour, ne cessa d'être frappé de stupeur que lorsqu'il fut transformé en rocher. Tel encore Olénus, ce tendre époux qui voulut se charger de ton crime, infortunée Léthéa, trop vaine de ta beauté. Jadis unis par l'hymen, ils ne font qu'un même rocher, soutenu par l'Ida sur son humide sommet.

En vain le chantre de la Thrace veut repasser le Styx et fléchir l'inflexible Charon. Toujours refusé, il reste assis sur la rive infernale, ne se nourrissant que de ses larmes, du trouble de son âme, et de sa douleur. Enfin, las d'accuser la cruauté des dieux de l'Érèbe, il se retire sur le mont Rhodope, et sur l'Hémus battu des Aquilons.

Trois fois le soleil avait ramené les saisons. Orphée fuyait les femmes et l'amour : soit qu'il déplorât le sort de sa première flamme, soit qu'il eût fait serment d'être fidèle à Eurydice. En vain pour lui mille beautés soupirent; toutes se plaignent de ses refus.

Mais ce fut lui qui, par son exemple, apprit aux Thraces à rechercher ce printemps fugitif de l'âge placé entre l'enfance et la jeunesse, et à s'égarer dans des amours que la nature désavoue.

Source : Ovide - Métamorphoses - Livre X.

Une interprétation

A cause de la beauté et de la force de son amour pour Eurydice, Orphée a pu obtenir d'Hadès, le dieu des morts, par ses chants, le retour à la vie de sa bien-aimée. Mais son trop grand attachement pour elle, fit qu'il désobéit à Hadès en se retournant, et ainsi la perdit pour toujours. En outre, en se tournant vers Eurydice, il se tourne vers le monde des morts, donc se détourne de la vie ..

jeudi 24 novembre 2005

Les cinq âges de la mythologie grecque selon Hésiode

L'âge d'or

Quand les hommes et les dieux furent nés ensemble, d’abord les célestes habitants de l'Olympe créèrent l'âge d'or pour les mortels doués de la parole. Sous le règne de Saturne qui commandait dans le ciel, les mortels vivaient comme les dieux, ils étaient libres d'inquiétudes, de travaux et de souffrances ; la cruelle vieillesse ne les affligeait point ; leurs pieds et leurs mains conservaient sans cesse la même vigueur, et loin de tous les maux, ils se réjouissaient au milieu des festins, riches en fruits délicieux et chers aux bienheureux Immortels. Ils mouraient comme enchaînés par un doux sommeil. Tous les biens naissaient autour d'eux. La terre fertile produisait d'elle-même d'abondants trésors ; libres et paisibles, ils partageaient leurs richesses avec une foule de vertueux amis. Quand la terre eut renfermé dans son sein cette première génération, ces hommes, appelés les génies terrestres, devinrent les protecteurs et les gardiens tutélaires des mortels : ils observent leurs bonnes ou leurs mauvaises actions, et, enveloppés d'un nuage (9), parcourent toute la terre en répandant la richesse : telle est la royale prérogative qu'ils ont obtenue.

L'âge d'argent

Ensuite les habitants de l'Olympe produisirent une seconde race bien inférieure à la première, l'âge d'argent qui ne ressemblait à l'âge d'or ni pour la force du corps ni pour l'intelligence. Nourri par les soins de sa mère, l'enfant, toujours inepte, croissait, durant cent ans, dans la maison natale. Parvenu au terme de la puberté et de l'adolescence, il ne vivait qu'un petit nombre d'années, accablé de ces douleurs, triste fruit de sa stupidité, car alors les hommes ne pouvaient s'abstenir de l'injustice ; ils ne voulaient pas adorer les dieux ni leur offrir des sacrifices sur leurs pieux autels, comme doivent le faire les mortels divisés par tribus. Bientôt Jupiter, fils de Saturne, les anéantit, courroucé de ce qu'ils refusaient leurs hommages aux dieux habitans de l'Olympe. Quand la terre eut dans son sein renfermé leurs dépouilles, on les nomma les mortels bienheureux ; ces génies terrestres n'occupent que le second rang, mais le respect accompagne aussi leur mémoire.

L'âge d'airain

Le père des dieux créa une troisième génération d'hommes doués de la parole, l'âge d'airain, qui ne ressemblait en rien à l’âge d'argent.

Robustes comme le frêne, ces hommes, violents et terribles, ne se plaisaient qu'aux injures et aux sanglants travaux de Mars ; ils ne se nourrissaient pas des fruits de la terre, et leur coeur impitoyable avait la dureté de l'acier. Leur force était immense, indomptable, et des bras invincibles s'allongeaient de leurs épaules sur leurs membres nerveux. Ils portaient des armes d'airain ; l’airain composait leurs maisons ; ils ne travaillaient que l'airain, car le fer noir n'existait pas encore. Égorgés par leurs propres mains, ils descendirent dans la ténébreuse demeure du froid Pluton sans laisser un nom après eux. Malgré leur force redoutable, la sombre Mort les saisit et ils quittèrent la brillante lumière du soleil.

L'âge des héros

Quand la terre eut aussi renfermé leur dépouille dans son sein, Jupiter, fils de Saturne, créa sur cette terre fertile une quatrième race plus juste et plus vertueuse , la céleste race de ces Héros que l'âge précédent nomma les demi-dieux dans l’immense univers. La guerre fatale et les combats meurtriers les moissonnèrent tous, les uns lorsque, devant Thèbes aux sept portes , sur la terre de Cadmus, ils se disputèrent les troupeaux d'Oedipe ; les autres lorsque, franchissant sur leurs navires la vaste étendue de la mer, armés pour Hélène aux beaux cheveux, ils parvinrent jusqu'à Troie, où la mort les enveloppa de ses ombres. Le puissant fils de Saturne, leur donnant une nourriture et une demeure différentes de celles des autres hommes, les plaça aux confins de la terre. Ces Héros fortunés, exempts de toute inquiétude, habitent les îles des bienheureux par delà l'océan aux gouffres profonds, et trois fois par an la terre féconde leur prodigue des fruits brillants et délicieux.

L'âge de fer

Plût aux dieux que je ne vécusse pas au milieu de la cinquième génération ! Que ne suis-je mort avant ! que ne puis-je naître après ! C'est l'âge de fer qui règne maintenant. Les hommes ne cesseront ni de travailler et de souffrir pendant le jour ni de se corrompre pendant la nuit ; les dieux leur enverront de terribles calamités. Toutefois quelques biens se mêleront à tant de maux. Jupiter détruira celte race d'hommes doués de la parole lorsque presque dès leur naissance leurs cheveux blanchiront. Le père ne sera plus uni à son fils, ni le fils à son père, ni l'hôte à son hôte, ni l'ami à son ami ; le frère, comme auparavant, ne sera plus chéri de son frère ; les enfants mépriseront la vieillesse de leurs parents. Les cruels ! ils les accableront d'injurieux reproches sans redouter la vengeance divine. Dans leur coupable brutalité, ils ne rendront pas à leurs pères les soins que leur enfance aura reçus : l'un ravagera la cité de l'autre ; on ne respectera ni la foi des serments, ni la justice, ni la vertu ; on honorera de préférence l'homme vicieux et insolent ; l'équité et la pudeur ne seront plus en usage ; le méchant outragera le mortel vertueux par des discours pleins d'astuce auxquels il joindra le parjure. L'Envie au visage odieux, ce monstre qui répand la calomnie et se réjouit du mal, poursuivra sans relâche les hommes infortunés. Alors, promptes à fuir la terre immense pour l'Olympe, la Pudeur et Némésis , enveloppant leurs corps gracieux de leurs robes blanches, s'envoleront vers les célestes tribus et abandonneront les humains ; il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorants, et leurs maux seront irrémédiables.

Source WikiSource : Les Travaux et les jours

Note : Ovide dans Métamorphoses - Livre I, ne mentionne pas l'âge des héros, et donc ne décrit que 4 âges

Les quatre âges de la mythologie grecque selon Ovide

L'âge d'or commença.

L'âge d'or

Alors les hommes gardaient volontairement la justice et suivaient la vertu sans effort. Ils ne connaissaient ni la crainte, ni les supplices; des lois menaçantes n'étaient point gravées sur des tables d'airain; on ne voyait pas des coupables tremblants redouter les regards de leurs juges, et la sûreté commune être l'ouvrage des magistrats. Les pins abattus sur les montagnes n'étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d'autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n'étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. On ignorait et la trompette guerrière et l'airain courbé du clairon. On ne portait ni casque, ni épée;

Et ce n'étaient pas les soldats et les armes qui assuraient le repos des nations. La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d'elle-même. L'homme, satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort, cueillait les fruits de l'arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage qui croît sur la ronce épineuse, et le gland qui tombait de l'arbre de Jupiter. C'était alors le règne d'un printemps éternel. Les doux zéphyrs, de leurs tièdes haleines, animaient les fleurs écloses sans semence. La terre, sans le secours de la charrue, produisait d'elle-même d'abondantes moissons.

L'âge d'argent

Dans les campagnes s'épanchaient des fontaines de lait, des fleuves de nectar; et de l'écorce des chênes le miel distillait en bienfaisante rosée. Lorsque Jupiter eut précipité Saturne dans le sombre Tartare, l'empire du monde lui appartint, et alors commença l'âge d'argent, âge inférieur à celui qui l'avait précédé, mais préférable à l'âge d'airain qui le suivit. Jupiter abrégea la durée de l'antique printemps; il en forma quatre saisons qui partagèrent l'année : l'été, l'automne inégale, l'hiver, et le printemps actuellement si court. Alors, pour la première fois, des chaleurs dévorantes embrasèrent les airs;

L'âge d'airain

Les vents formèrent la glace de l'onde condensée. On chercha des abris. Les maisons ne furent d'abord que des antres, des arbrisseaux touffus et des cabanes de feuillages. Alors il fallut confier à de longs sillons les semences de Cérès; alors les jeunes taureaux gémirent fatigués sous le joug. Aux deux premiers âges succéda l'âge d'airain. Les hommes, devenus féroces, ne respiraient que la guerre; mais ils ne furent point encore tout à fait corrompus. L'âge de fer fut le dernier. Tous les crimes se répandirent avec lui sur la terre. La pudeur, la vérité, la bonne foi disparurent.

À leur place dominèrent l'artifice, la trahison, la violence, et la coupable soif de posséder. Le nautonier confia ses voiles à des vents qu'il ne connaissait pas encore; et les arbres, qui avaient vieilli sur les montagnes, en descendirent pour flotter sur des mers ignorées. La terre, auparavant commune aux hommes, ainsi que l'air et la lumière, fut partagée, et le laboureur défiant traça de longues limites autour du champ qu'il cultivait. Les hommes ne se bornèrent point à demander à la terre ses moissons et ses fruits, ils osèrent pénétrer dans son sein; et les trésors qu'elle recelait, dans des antres voisins du Tartare,

L'âge de fer

Vinrent aggraver tous leurs maux. Déjà sont dans leurs mains le fer, instrument du crime, et l'or, plus pernicieux encore. La Discorde combat avec l'un et l'autre. Sa main ensanglantée agite et fait retentir les armes homicides. Partout on vit de rapine. L'hospitalité n'offre plus un asile sacré. Le beau-père redoute son gendre. L'union est rare entre les frères. L'époux menace les jours de sa compagne; et celle-ci, les jours de son mari. Des marâtres cruelles mêlent et préparent d'horribles poisons : le fils hâte les derniers jours de son père. La piété languit, méprisée;

Et Astrée quitte enfin cette terre souillée de sang, et que les dieux ont déjà abandonnée. Le ciel ne fut pas plus que la terre à l'abri des noirs attentats des mortels : on raconte que les Géants osèrent déclarer la guerre aux dieux. Ils élevèrent jusqu'aux astres les montagnes entassées. Mais le puissant Jupiter frappa, brisa l'Olympe de sa foudre; et, renversant Ossa sur Pélion, il ensevelit, sous ces masses écroulées, les corps effroyables de ses ennemis. On dit encore que la terre, fumante de leur sang, anima ce qui en restait dans ses flancs, pour ne pas voir s'éteindre cette race cruelle.

Source : Les métamorphoses - Livre I