lundi 30 janvier 2006

Le Prince Fatal et le Prince Fortuné de Jeanne Marie Leprince de Beaumont

Source : Wikisource

Il y avait une fois une reine, qui eut deux petits garçons, beaux comme le jour. Une fée, qui était bonne amie de la reine, avait été priée d'être la marraine de ces princes, et de leur faire quelque don :

« Je doue l'aîné, dit-elle, de toutes sortes de malheurs jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, et je le nomme Fatal. »

A ces paroles, la reine jeta de grands cris, et conjura la fée de changer ce don.

« Vous ne savez pas ce que vous demandez, dit-elle à la reine ; s'il n'est pas malheureux, il sera méchant. »

La reine n'osa plus rien dire ; mais elle pria la fée de lui laisser choisir un don pour son second fils.

« Peut-être choisirez-vous tout de travers, répondit la fée ; mais n'importe, je veux bien lui accorder ce que vous me demanderez pour lui.

- Je souhaite, dit la reine, qu'il réussisse toujours dans tout ce qu'il voudra faire ; c'est le moyen de le rendre parfait.

- Vous pourriez vous tromper, dit la fée ; ainsi, je ne lui accorde ce don, que jusqu'à vingt-cinq ans. »

On donna des nourrices aux deux petits princes, mais dès le troisième jour, la nourrice du prince aîné eut la fièvre; on lui en donna une autre qui se cassa la jambe en tombant, une troisième perdit son lait, aussitôt que le prince Fatal commença à la téter ; et le bruit s'étant répandu que le prince portait malheur à ses nourrices, personne ne voulut plus le nourrir, ni s'approcher de lui. Ce pauvre enfant, qui avait faim, criait, et ne faisait pourtant pitié à personne. Une grosse paysanne, qui avait un grand nombre d'enfants, qu'elle avait beaucoup de peine à nourrir, dit qu'elle aurait soin de lui, si on voulait lui donner une grosse somme d'argent ; et comme le roi et la reine n'aimaient pas le prince Fatal, ils donnèrent à la nourrice ce qu'elle demandait, et lui dirent de le porter à son village. Le second prince, qu'on avait nommé Fortuné, venait au contraire à merveille. Son papa et sa maman l'aimaient à la folie, et ne pensaient pas seulement à l'aîné. La méchante femme, à qui on l'avait donné, ne fut pas plutôt chez elle, qu'elle lui ôta les beaux langes dont il était enveloppé, pour les donner à un de ses fils, qui était de l'âge de Fatal ; et, ayant enveloppé le pauvre prince dans une mauvaise jupe, elle le porta dans un bois, où il y avait bien des bêtes sauvages, et le mit dans un trou, avec trois petits lions, pour qu'il fût mangé. Mais la mère de ces lions ne lui fit point de mal, et au contraire, elle lui donna à téter, ce qui le rendit si fort, qu'il courait tout seul au bout de six mois. Cependant le fils de la nourrice, qu'elle faisait passer pour le prince, mourut, et le roi et la reine furent charmés d'en être débarrassés. Fatal resta dans le bois jusqu'à deux ans, et un seigneur de la cour, qui allait à la chasse, fut tout étonné de le trouver au milieu des bêtes. Il en eut pitié, l'emporta dans sa maison, et ayant appris qu'on cherchait un enfant, pour tenir compagnie à Fortuné, il présenta Fatal à la reine. On donna un maître à Fortuné pour lui apprendre à lire ; mais on recommanda au maître de ne le point faire pleurer. Le jeune prince qui avait entendu cela, pleurait toutes les fois qu'il prenait son livre; en sorte qu'à cinq ans, il ne connaissait pas les lettres ; au lieu que Fatal lisait parfaitement et savait déjà écrire. Pour faire peur au prince, on commanda au maître de fouetter Fatal toutes les fois que Fortuné manquerait à son devoir ; ainsi, Fatal avait beau s'appliquer à être sage, cela ne l'empêchait pas d'être battu ; d'ailleurs, Fortuné était si volontaire et si méchant, qu'il maltraitait toujours son frère, qu'il ne connaissait pas. Si on lui donnait une pomme, un jouet, Fortuné le lui arrachait des mains ; il le faisait taire : en un mot, c'était un petit martyr, dont personne n'avait pitié. Ils vécurent ainsi jusqu'à dix ans, et la reine était fort surprise de l'ignorance de son fils.

« La fée m'a trompée, disait-elle ; je croyais que mon fils serait le plus savant de tous les princes, puisque j'ai souhaité qu'il réussît dans tout ce qu'il voudrait entreprendre. » Elle fut consulter la fée sur cela qui lui dit :

« Madame, il fallait souhaiter à votre fils de la bonne volonté, plutôt que des talents ; il ne veut qu'être bien méchant, et il y réussit comme vous le voyez. »

Après avoir dit ces paroles à la reine, elle lui tourna le dos : cette pauvre princesse, fort affligée, retourna à son palais. Elle voulut gronder Fortuné, pour l'obliger à mieux faire ; mais, au lieu de lui promettre de se corriger, il dit que si on le chagrinait, il se laisserait mourir de faim. Alors la reine, tout effrayée, le prit sur ses genoux, le baisa, lui donna des bonbons, et lui dit qu'il n'étudierait pas de huit jours, s'il voulait bien manger comme à son ordinaire. Cependant le prince Fatal était un prodige de science et de douceur ; il s'était tellement accoutumé à être contredit, qu'il n'avait point de volonté, et ne s'attachait qu'à prévenir les caprices de Fortuné. Mais ce méchant enfant, qui enrageait de le voir plus habile que lui, ne pouvait le souffrir, et les gouverneurs, pour plaire à leur jeune maître, battaient à tous les moments Fatal. Enfin, ce méchant enfant dit à la reine, qu'il ne voulait plus voir Fatal, et qu'il ne mangerait pas qu'on ne l'eût chassé du palais. Voilà donc Fatal dans la rue, et comme on avait peur de déplaire au prince, personne ne voulut le recevoir. Il passa la nuit sous un arbre, mourant de froid, car c'était en hiver, et n'ayant pour son souper qu'un morceau de pain, qu'on lui avait donné par charité. Le lendemain matin, il dit en lui-même, je ne veux pas rester à rien faire, je travaillerai pour gagner ma vie jusqu'à ce que je sois assez grand pour aller à la guerre. Je me souviens d'avoir lu dans les histoires, que de simples soldats sont devenus de grands capitaines ; peut-être aurai-je le même bonheur, si je suis honnête homme. Je n'ai ni père, ni mère ; mais Dieu est le père des orphelins ; il m'a donné une lionne pour nourrice, il ne m'abandonnera pas. Après avoir dit cela, Fatal se leva, fit sa prière, car il ne manquait jamais à prier Dieu soir et matin ; et quand il priait, il avait les yeux baissés, les mains jointes, et il ne tournait pas la tête de côté et d'autre. Un paysan, qui passa, et qui vit Fatal, qui priait Dieu de tout son coeur, dit en lui-même, je suis sûr que cet enfant sera un honnête garçon ; j'ai envie de le prendre pour garder mes moutons. Dieu me bénira à cause de lui. Le paysan attendit que Fatal eût fini sa prière, et lui dit :

« Mon petit ami, voulez-vous venir garder mes moutons ? Je vous nourrirai, et j'aurai soin de vous.

- Je le veux bien, répondit Fatal, et je ferai tout mon possible pour vous bien servir. »

Ce paysan était un gros fermier, qui avait beaucoup de valets, qui le volaient fort souvent ; sa femme et ses enfants le volaient aussi. Quand ils virent Fatal, ils furent bien contents :

" C'est un enfant, disaient-ils, il fera tout ce que nous voudrons. "

Un jour la femme lui dit :

« Mon ami, mon mari est un avare qui ne me donne jamais d'argent ; laisse-moi prendre un mouton, et tu diras que le loup l'a emporté.

- Madame, lui répondit Fatal, je voudrais de tout mon coeur vous rendre service, mais j'aimerais mieux mourir que de dire un mensonge et être un voleur.

- Tu n'es qu'un sot, lui dit cette femme ; personne ne saura que tu as fait cela.

- Dieu le saura, madame, répondit Fatal ; il voit tout ce que nous faisons, et punit les menteurs et ceux qui volent.»

Quand la fermière entendit ces paroles, elle se jeta sur lui, lui donna des soufflets, et lui arracha les cheveux. Fatal pleurait, et le fermier l'ayant entendu, demanda à sa femme pourquoi elle battait cet enfant.

« Vraiment, dit-elle, c'est un gourmand, je l'ai vu ce matin manger un pot de crème, que je voulais porter au marché.

- Fi, que cela est vilain, d'être gourmand », dit le paysan ; et tout de suite il appela un valet, et lui commanda de fouetter Fatal. Ce pauvre enfant avait beau dire qu'il n'avait pas mangé la crème, on croyait sa maîtresse plus que lui. Après cela, il sortit dans la campagne avec ses moutons, et la fermière lui dit :

« Hé bien, voulez-vous, à cette heure, me donner un mouton ?

- J'en serais bien fâché, dit Fatal, vous pouvez faire tout ce que vous voudrez contre moi, mais vous ne m'obligerez pas à mentir. »

Cette méchante créature, pour se venger, engagea tous les autres domestiques pour faire du mal à Fatal. Il restait à la campagne le jour et la nuit, et au lieu de lui donner à manger, comme aux autres valets, elle ne lui envoyait que du pain et de l'eau ; et quand il revenait, elle l'accusait de tout le mal qui se faisait dans la maison. Il passa un an avec ce fermier ; et quoiqu'il couchât sur la terre, et qu'il fût si mal nourri, il devint si fort, qu'on croyait qu'il avait quinze ans, quoiqu'il n'en eût que treize : d'ailleurs, il était devenu si patient, qu'il ne se chagrinait plus, quand on le grondait mal à propos. Un jour qu'il était à la ferme, il entendit dire qu'un roi voisin avait une grande guerre. il demanda congé à son maître, et fut à pied dans le royaume de ce prince, pour être soldat. Il s'engagea à un capitaine, qui était un grand seigneur ; mais il ressemblait à un porteur de chaise, tant il était brutal ; il jurait, il battait ses soldats, il leur volait la moitié de l'argent que le roi donnait pour les nourrir et les habiller ; et sous ce méchant capitaine, Fatal fut encore plus malheureux que chez le fermier. Il s'était engagé pour dix ans, et quoiqu'il vît déserter le plus grand nombre de ses camarades, il ne voulut jamais suivre leur exemple ; car il disait, « j'ai reçu de l'argent pour servir dix ans, je volerais le roi, si je manquais à ma parole ». Quoique le capitaine fût un méchant homme, et qu'il maltraitât Fatal, tout comme les autres, il ne pouvait s'empêcher de l'estimer, parce qu'il voyait qu'il faisait toujours son devoir. Il lui donnait de l'argent pour faire ses commissions, et Fatal avait la clef de sa chambre, quand il allait à la campagne, ou qu'il dînait chez ses amis. Ce capitaine n'aimait pas la lecture, mais il avait une grande bibliothèque, pour faire croire à ceux qui venaient chez lui, qu'il était un homme d'esprit ; car dans ce pays-là, on pensait qu'un officier qui ne lisait pas l'histoire, ne serait jamais qu'un sot et qu'un ignorant. Quand Fatal avait fait son devoir de soldat, au lieu d'aller boire et jouer avec ses camarades, il s'enfermait dans la chambre du capitaine, et tâchait d'apprendre son métier, en lisant la vie des grands hommes, et il devint capable de commander une armée. Il y avait déjà sept ans qu'il était soldat, lorsqu'il fut à la guerre. Son capitaine prit six soldats avec lui, pour aller visiter un petit bois : et quand il fut dans ce petit bois, les soldats disaient tout bas, « il faut tuer ce méchant homme, qui nous donne des coups de canne, et qui nous vole notre pain ». Fatal leur dit qu'il ne fallait pas faire une si mauvaise action ; mais au lieu d'écouter, ils lui dirent qu'ils le tueraient avec le capitaine, et mirent tous les cinq l'épée à la main. Fatal se mit à côté de son capitaine, et se battit avec tant de valeur, qu'il tua lui seul quatre de ces soldats. Son capitaine, voyant qu'il lui devait la vie, lui demanda pardon de tout le mal qu'il lui avait fait ; et ayant conté au roi ce qui lui était arrivé, Fatal fut fait capitaine, et le roi lui fit une grosse pension. Oh, dame, les soldats n'auraient pas voulu tuer Fatal, car il les aimait comme ses enfants ; et, loin de leur voler ce qui leur appartenait, il leur donnait de son argent, quand ils faisaient leur devoir. Il avait soin d'eux, quand ils étaient blessés, et ne les reprenait jamais par mauvaise humeur. Cependant on donna une grande bataille, et celui qui commandait l'armée ayant été tué, tous les officiers et les soldats s'enfuirent ; mais Fatal cria tout haut, qu'il aimait mieux mourir les armes à la main, que de fuir comme un lâche. Ses soldats lui crièrent qu'ils ne voulaient point l'abandonner, et leur bon exemple ayant fait honte aux autres, ils se rangèrent autour de Fatal, et combattirent si bien, qu'ils firent le fils du roi ennemi prisonnier. Le roi fut bien content, quand il sut qu'il avait gagné la bataille, et dit à Fatal qu'il le faisait général de toutes les armées. Il le présenta ensuite à la reine et à la princesse sa fille, qui lui donnèrent leurs mains à baiser. Quand Fatal vit la princesse, il resta immobile. Elle était si belle, qu'il en devint amoureux comme un fou, et ce fut alors qu'il fut bien malheureux ; car il pensait qu'un homme comme lui, n'était pas fait pour épouser une grande princesse. Il résolut donc de cacher soigneusement son amour, et tous les jours il souffrait les plus grands tourments : mais ce fut bien pis, quand il apprit que Fortuné, ayant vu un portrait de la princesse, qui se nommait Gracieuse, en était devenu amoureux, et qu'il envoyait des ambassadeurs pour la demander en mariage. Fatal pensa mourir de chagrin : mais la princesse Gracieuse, qui savait que Fortuné était un prince lâche et méchant, pria si fort le roi son père, de ne la point forcer à l'épouser, qu'on répondit à l'ambassadeur, que la princesse ne voulait point encore se marier. Fortuné, qui n'avait jamais été contredit, entra en fureur, quand on lui eut rapporté la réponse de la princesse : et son père, qui ne pouvait lui rien refuser, déclara la guerre au père de Gracieuse, qui ne s'en embarrassa pas beaucoup ; car il disait, « tant que j'aurai Fatal à la tête de mon armée, je ne crains pas d'être battu ». Il envoya donc chercher son général, et lui dit de se préparer à faire la guerre : mais Fatal, se jetant à ses pieds, lui dit qu'il était né dans le royaume du père de Fortuné, et qu'il ne pouvait pas combattre contre son roi. Le père de Gracieuse se mit fort en colère, et dit à Fatal qu'il le ferait mourir, s'il refusait de lui obéir ; et qu'au contraire, il lui donnerait sa fille en mariage, s'il remportait la victoire sur Fortuné. Le pauvre Fatal, qui aimait Gracieuse à la folie, fut bien tenté ; mais à la fin, il se résolut à faire son devoir, sans rien dire au roi ; il quitta la cour et abandonna toutes ses richesses. Cependant Fortuné se mit à la tête de son armée, pour aller faire la guerre ; mais au bout de quatre jours, il tomba malade de fatigue ; car il était fort délicat, n'ayant jamais voulu faire aucun exercice. Le chaud, le froid, tout le rendait malade. Cependant, l'ambassadeur, qui voulait faire sa cour à Fortuné, lui dit qu'il avait vu à la cour du père de Gracieuse, ce petit garçon qu'il avait chassé de son palais ; et qu' on disait que le père de Gracieuse lui avait promis sa fille. Fortuné, à cette nouvelle, se mit dans une grande colère, et aussitôt qu'il fut guéri, il partit pour détrôner le père de Gracieuse, et promit une grosse somme d'argent à celui qui lui amènerait Fatal. Fortuné remporta de grandes victoires, quoiqu'il ne combattît pas lui-même ; car il avait peur d'être tué. Enfin, il assiégea la ville capitale de son ennemi, et résolut de faire donner l'assaut. La veille de ce jour, on lui amena Fatal, lié avec de grosses chaînes, car un grand nombre de personnes s'étaient mises en chemin pour le chercher. Fortuné, charmé de pouvoir se venger, résolut, avant de donner l'assaut, de faire couper la tête à Fatal, à la vue des ennemis. Ce jour-là même, il donna un grand festin à ses officiers, parce qu'il célébrait son jour de naissance, ayant justement vingt-cinq ans. Les soldats qui étaient dans la ville, ayant appris que Fatal était pris, et qu'on devait dans une heure lui couper la tête, résolurent de périr, ou de le sauver ; car ils se souvenaient du bien qu'il leur avait fait, pendant qu'il était leur général. Ils demandèrent donc permission au roi de sortir pour combattre, et cette fois, ils furent victorieux. Le don de Fortuné avait cessé ; et comme il voulait s'enfuir, il fut tué. Les soldats victorieux coururent ôter les chaînes à Fatal, et dans le même moment, on vit paraître en l'air deux chariots brillants de lumière. La fée était dans un de ces chariots, et le père et la mère de Fatal étaient dans l'autre, mais endormis. Ils ne s'éveillèrent qu'au moment où leurs chariots touchaient la terre, et furent bien étonnés de se voir au milieu d'une armée. La fée alors s'adressant à la reine, et lui présentant Fatal, lui dit :

« Madame, reconnaissez dans ce héros votre fils aîné ; les malheurs qu'il a éprouvés, ont corrigé les défauts de son caractère, qui était violent et emporté. Fortuné, au contraire, qui était né avec de bonnes inclinations, a été absolument gâté par la flatterie, et Dieu n'a pas permis qu'il vécût plus longtemps, parce qu'il serait devenu plus méchant chaque jour. Il vient d'être tué ; mais, pour vous consoler de sa mort, apprenez qu'il était sur le point de détrôner son père, parce qu'il s'ennuyait de n'être pas roi. »

Le roi et la reine furent bien étonnés, et ils embrassèrent de bon coeur Fatal, dont ils avaient entendu parler fort avantageusement. La princesse Gracieuse et son père apprirent avec joie l'aventure de Fatal, qui épousa Gracieuse, avec laquelle il vécut fort longtemps, parfaitement heureux et fort vertueux.

jeudi 5 janvier 2006

Le petit Prince

Source : Wikipedia

Le Petit Prince
« Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j'ai réussi à faire de lui. »
Le Petit Prince, chapitre II.

Le Petit Prince est l'œuvre la plus connue d'Antoine de Saint-Exupéry. Publié en 1943, c'est un conte philosophique très poétique qui, sous l'apparence d'un conte pour enfants, aborde des thèmes profonds comme la vie et l'amour, la mort, l'amitié, les attitudes et préoccupations face à la vie, voire le suicide. En fait, chaque chapitre relate une des rencontres du petit prince et contient une moralité, une ou deux phrases simples sur l'amitié, la vie, etc.

L'œuvre est également illustrée par l'auteur lui-même. Ses dessins, simples et d'un style un peu naïf, sont tout aussi célèbres que le livre lui-même.

Résumé de l'histoire

Attention : Ce qui suit dévoile tout ou partie de l'œuvre !

Le narrateur est un aviateur qui, à la suite d'une panne de moteur, a dû se poser en catastrophe dans le désert du Sahara et doit tenter seul une réparation difficile. C'est pour lui une question de vie ou de mort.

Le lendemain de son atterrissage forcé, il est réveillé par une petite voix qui lui demande « S'il vous plaît... dessine-moi un mouton ! ». Le petit garçon qui lui a demandé cela se révèle être un petit prince arrivé des étoiles. L'aviateur, d'abord surpris, commence par dessiner plusieurs moutons, mais aucun ne convient, jusqu'à ce que, excédé, il dessine une boîte avec des trous dans laquelle il explique qu'il y a un petit mouton, ce qui convient tout à fait au petit prince.

Au fil des discussions, le petit prince raconte son histoire. Il vit sur un astéroïde appelé B612, à peine plus grand qu'une maison. Il a une fleur magnifique, mais très coquette et exigeante, à un tel point qu'elle rend malheureux le petit prince qui décide de s'enfuir.

Il arrive d'abord sur un astéroïde habité par un roi pour qui chacun est un sujet. Mais c'est un roi raisonnable : il estime qu'« il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L'autorité repose d'abord sur la raison ». Puis le petit prince passe sur une planète habitée par un vaniteux, qui croit que tout le monde est un admirateur. Après cela, il arrive sur un astéroïde habité par un buveur. Celui-ci boit pour oublier qu'il a honte... de boire. Ensuite, le petit prince arrive sur la planète d'un businessman dont le seul bonheur est de compter les étoiles qu'il possède (puisqu'il est le premier à avoir eu l'idée de les posséder). La cinquième planète visitée par le petit prince est habitée par un allumeur de réverbères qui doit allumer et éteindre son réverbère une fois par minute tant sa planète tourne vite. La sixième planète, beaucoup plus grande, est habitée par un géographe. Celui-ci lui conseille d'explorer la planète Terre, qui a « une bonne réputation »...

Sur Terre, le petit prince rencontre tout d'abord un serpent qui ne parle que par énigmes, puis une petite fleur de rien du tout, puis l'écho des montagnes qui ne fait que tout répéter, et enfin il arrive dans un jardin de roses. Il se rend alors compte que sa fleur n'était pas unique et devient bien malheureux. Peu après, il rencontre un renard dont le seul souhait est d'être apprivoisé par le petit prince. Lorsque cela est fait et que les deux amis vont se séparer, le renard donne un conseil simple au petit prince : « on ne voit bien qu'avec le cœur ; l'essentiel est invisible pour les yeux ». Il apprend ainsi que l'on « est responsable de ce que l'on a apprivoisé ». Plus tard, le petit prince rencontre successivement un aiguilleur et un marchand avant de rencontrer l'aviateur. Guidé par la fragilité et la candeur du petit prince, il finit par découvrir un puits dans le désert. Peu après, le petit prince lui explique que ça fait presque un an qu'il est arrivé sur terre, tout près de là. Il lui apprend aussi que le lendemain, il doit rentrer sur sa planète pour s'occuper de sa fleur dont il se sent responsable. En compagnie de l'aviateur, le petit prince revient sur le lieu exact où il était arrivé sur Terre et attend qu'un « éclair jaune » le touche à la cheville. Puis, « il [tombe] doucement comme tombe un arbre ».

Traductions

En 2005, Le Petit Prince a été traduit en toba, une langue du nord de l'Argentine, sous le titre So Shiyaxauolec Nta'a. C'est le premier livre à avoir été traduit dans cette langue après le Nouveau Testament.

Il y a plus de 150 traductions du Petit Prince, avec plus de 300 éditions. Pour les seules langues régionales française, on peut parler de l'Occitan, de l'Alsacien, du Provençal, du Basque, du Languedocien, du Créole réunionnais, du Breton, du Corse ou du Francique mosellan.

Adaptations

  • 1954 : adaptation phonographique, avec Gérard Philipe dans le rôle du récitant et Georges Poujouly dans celui du Petit Prince
  • 1966 : film soviétique (Malenkiy prints) du réalisateur lituanien Arünas Zebriünas
  • 1972 : adaptation phonographique, avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle du récitant et Éric Damain dans celui du Petit Prince
  • 1973 : adaptation phonographique, avec Marcel Mouloudji dans le rôle du récitant et Éric Rémy dans celui du Petit Prince
  • 1974 : film américain (The Little Prince) de Stanley Donen
  • 1978 : adaptation phonographique, avec Jean-Claude Pascal dans le rôle du récitant
  • 1979 : dessin animé américain (The Little Prince) de Susan Shadburne
  • 1990 : téléfilm allemand (Der kleine Prinz) de Theo Kerp
  • 1990 : adaptation phonographique, avec Pierre Arditi dans le rôle du récitant et Benjamin Pascal dans celui du Petit Prince
  • 2002 : comédie musicale (Le petit prince) de Richard Cocciante
  • 2003 : opéra américain (The Little Prince) de Rachel Portman
  • Un astéroïde : 46610 Bésixdouze a été nommé d'après la planète d'origine du petit prince.

Voir aussi

mercredi 4 janvier 2006

Le Bisaïeul de Hans Christian Andersen

Le conte n'est pas de moi. Je le tiens d'un de mes amis, à qui je donne la parole : Notre bisaïeul était la bonté même ; il aimait à faire plaisir, il contait de jolies histoires ; il avait l'esprit droit, la tête solide. A vrai dire il n'était que mon grand-père ; mais lorsque le petit garçon de mon frère Frédéric vint au monde, il avança au grade de bisaïeul, et nous ne l'appelions plus qu'ainsi. Il nous chérissait tous et nous tenait en considération ; mais notre époque, il ne l'estimait guère. " Le vieux temps, disait-il, c'était le bon temps. Tout marchait alors avec une sage lenteur, sans précipitation ; aujourd'hui c'est une course universelle, une galopade échevelée ; c'est le monde renversé. "

Quand le bisaïeul parlait sur ce thème, il s'animait à en devenir tout rouge ; puis il se calmait peu à peu et disait en souriant : « Enfin, peut-être me trompé-je. Peut-être est-ce ma faute si je ne me trouve pas à mon aise dans ce temps actuel avec mes habitudes du siècle dernier. Laissons agir la Providence. »

Cependant il revenait toujours sur ce sujet, et comme il décrivait bien tout ce que l'ancien temps avait de pittoresque et de séduisant : les grands carrosses dorés et à glaces où trônaient les princes, les seigneurs, les châtelaines revêtues de splendides atours ; les corporations, chacune en costume différent, traversant les rues en joyeux cortège, bannières et musiques en tête ; chacun gardant son rang et ne jalousant pas les autres. Et les fêtes de Noël, comme elles étaient plus animées, plus brillantes qu'aujourd'hui, et le gai carnaval ! Le vieux temps avait aussi ses vilains côtés : la loi était dure, il y avait la potence, la roue ; mais ces horreurs avaient du caractère, provoquaient l'émotion. Et quant aux abus, on savait alors les abolir généreusement : c'est au milieu de ces discussions que j'appris que ce fut la noblesse danoise qui la première affranchit spontanément les serfs et qu'un prince danois supprima dès le siècle dernier la traite des noirs.

- Mais, disait-il, le siècle d'avant était encore bien plus empreint de grandeur ; les hauts faits, les beaux caractères y abondaient.

- C'étaient des époques rudes et sauvages, interrompait alors mon frère Frédéric ; Dieu merci, nous ne vivons plus dans un temps pareil.

Il disait cela au bisaïeul en face, et ce n'était pas trop gentil. Cependant il faut dire qu'il n'était plus un enfant ; c'était notre aîné ; il était sorti de l'Université après les examens les plus brillants. Ensuite notre père, qui avait une grande maison de commerce, l'avait pris dans ses bureaux et il était très content de son zèle et de son intelligence. Le bisaïeul avait tout l'air d'avoir un faible pour lui ; C'est avec lui surtout qu'il aimait à causer ; mais quand ils en arrivaient à ce sujet du bon vieux temps, cela finissait presque toujours par de vives discussions ; aucun d'eux ne cédait ; et cependant, quoique je ne fusse qu'un gamin, je remarquai bien qu'ils ne pouvaient pas se passer l'un de l'autre. Que de fois le bisaïeul écoutait l'oreille tendue, les yeux tout pleins de feu, ce que Frédéric racontait sur les découvertes merveilleuses de notre époque, sur des forces de la nature, jusqu'alors inconnues, employées aux inventions les plus étonnantes !

- Oui, disait-il alors, les hommes deviennent plus savants, plus industrieux, mais non meilleurs. Quels épouvantables engins de destruction ils inventent pour s'entre-tuer !

- Les guerres n'en sont que plus vite finies, répondait Frédéric ; on n'attend plus sept ou même trente ans avant le retour de la paix. Du reste, des guerres, il en faut toujours ; s'il n'y en avait pas eu depuis le commencement du monde, la terre serait aujourd'hui tellement peuplée que les hommes se dévoreraient les uns les autres.

Un jour Frédéric nous apprit ce qui venait de se passer dans une petite ville des environs. A l'hôtel de ville se trouvait une grande et antique horloge ; elle s'arrêtait parfois, puis retardait, pour ensuite avancer ; mais enfin telle quelle, elle servait à régler toutes les montres de la ville. Voilà qu'on se mit à construire un chemin de fer qui passa par cet endroit ; comme il faut que l'heure des trains soit indiquée de façon exacte, on plaça à la gare une horloge électrique qui ne variait jamais ; et depuis lors tout le monde réglait sa montre d'après la gare ; l'horloge de la maison de ville pouvait varier à son aise ; personne n'y faisait attention, ou plutôt on s'en moquait.

- C'est grave tout cela, dit le bisaïeul d'un air très sérieux. Cela me fait penser à une bonne vieille horloge, comme on en fabrique à Bornholmy, qui était chez mes parents ; elle était enfermée dans un meuble en bois de chêne et marchait à l'aide de poids. Elle non plus n'allait pas toujours bien exactement ; mais on ne s'en préoccupait pas. Nous regardions le cadran et nous avions foi en lui. Nous n'apercevions que lui, et l'on ne voyait rien des roues et des poids. C'est de même que marchaient le gouvernement et la machine de l'État. On avait pleine confiance en elle et on ne regardait que le cadran. Aujourd'hui c'est devenu une horloge de verre ; le premier venu observe les mouvements des roues et y trouve à redire ; on entend le frottement des engrenages, on se demande si les ressorts ne sont pas usés et ne vont pas se briser. On n'a plus la foi ; c'est là la grande faiblesse du temps présent.

Et le bisaïeul continua ainsi pendant longtemps jusqu'à ce qu'il arrivât à se fâcher complètement, bien que Frédéric finit par ne plus le contredire. Cette fois, ils se quittèrent en se boudant presque ; mais il n'en fut pas de même lorsque Frédéric s'embarqua pour l'Amérique où il devait aller veiller à de grands intérêts de notre maison. La séparation fut douloureuse ; s'en aller si loin, au-delà de l'océan, braver flots et tempêtes.

- Tranquillise-toi, dit Frédéric au bisaïeul qui retenait ses larmes ; tous les quinze jours vous recevrez une lettre de moi, et je te réserve une surprise. Tu auras de mes nouvelles par le télégraphe ; on vient de terminer la pose du câble transatlantique. En effet, lorsqu'il s'embarqua en Angleterre, une dépêche vint nous apprendre que son voyage se passait bien, et, au moment où il mit le pied sur le nouveau continent, un message de lui nous parvint traversant les mers plus rapidement que la foudre.

- Je n'en disconviendrai pas, dit le bisaïeul, cette invention renverse un peu mes idées ; c'est une vraie bénédiction pour l'humanité, et c'est au Danemark qu'on a précisément découvert la force qui agit ainsi. Je l'ai connu, Christian Oersted, qui a trouvé le principe de l'électromagnétisme ; il avait des yeux aussi doux, aussi profonds que ceux d'un enfant ; il était bien digne de l'honneur que lui fit la nature en lui laissant deviner un de ses plus intimes secrets.

Dix mois se passèrent, lorsque Frédéric nous manda qu'il s'était fiancé là- bas avec une charmante jeune fille ; dans la lettre se trouvait une photographie. Comme nous l'examinâmes avec empressement ! Le bisaïeul prit sa loupe et la regarda longtemps.

- Quel malheur, s'écria le bisaïeul, qu'on n'ait pas depuis longtemps connu cet art de reproduire les traits par le soleil ! Nous pourrions voir face à face les grands hommes de l'histoire. Voyez donc quel charmant visage ; comme cette jeune fille est gracieuse ! Je la reconnaîtrai dès qu'elle passera notre seuil.

Le mariage de Frédéric eut lieu en Amérique ; les jeunes époux revinrent en Europe et atteignirent heureusement l'Angleterre d'où ils s'embarquèrent pour Copenhague. Ils étaient déjà en face des blanches dunes du Jutland, lorsque s'éleva un ouragan ; le navire, secoué, ballotté, tout fracassé, fut jeté à la côte. La nuit approchait, le vent faisait toujours rage ; impossible de mettre à la mer les chaloupes et on prévoyait que le matin le bâtiment serait en pièces.

Voilà qu'au milieu des ténèbres reluit une fusée ; elle amène un solide cordage ; les matelots s'en saisissent ; une communication s'établit entre les naufragés et la terre ferme. Le sauvetage commence et, malgré les vagues et la tempête, en quelques heures tout le monde est arrivé heureusement à terre.

A Copenhague nous dormions tous bien tranquillement, ne songeant ni aux dangers, ni aux chagrins. Lorsque le matin la famille se réunit, joyeuse d'avance de voir arriver le jeune couple, le journal nous apprend, par une dépêche, que la veille un navire anglais a fait naufrage sur la côte du Jutland. L'angoisse saisit tous les cœurs ; mon père court aux renseignements ; il revient bientôt encore plus vite nous apprendre que, d'après une seconde dépêche, tout le monde est sauvé et que les êtres chéris que nous attendons ne tarderont pas à être au milieu de nous. Tous nous éclatâmes en pleurs ; mais c'étaient de douces larmes ; moi aussi, je pleurai, et le bisaïeul aussi ; il joignit les mains et, j'en suis sûr, il bénit notre âge moderne. Et le même jour encore il envoya deux cents écus à la souscription pour le monument d'Oersted. Le soir, lorsque arriva Frédéric avec sa belle jeune femme, le bisaïeul lui dit ce qu'il avait fait ; et ils s'embrassèrent de nouveau. Il y a de braves cœurs dans tous les temps.

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